Le changement le plus important depuis 50 ans dans le domaine des brevets : les brevets unitaires et la juridiction unifiée du brevet (« JUB »)

Ce 1er juin entre en vigueur le changement le plus important des cinquante dernières années dans le domaine des brevets en Europe. Désormais, les entreprises pourront obtenir un « brevet unitaire ». Ce brevet permettra d'obtenir la même protection pour 17 États membres de l'UE, avec une seule traduction et le paiement d'une seule annuité. Parallèlement, la juridiction unifiée du brevet (« JUB » ou en anglais : « Unified Patent Court » ou « UPC ») entre en fonction ce 1er juin. Il s'agit d'une toute nouvelle juridiction internationale qui traitera uniquement des litiges en matière de brevets. Elle disposera d'une section locale à Bruxelles, où les procédures en matière de brevets pourront être conduites en français, en allemand, en néerlandais et en anglais.

Pourquoi des brevets unitaires ?

Depuis 1973, les entreprises peuvent demander un brevet « européen » pour leurs inventions. Bien que la procédure de demande auprès de l'Office européen des brevets soit uniforme, le demandeur n'obtient pas un titre unique, mais un ensemble de titres de brevets nationaux. Une fois le brevet délivré, le demandeur doit choisir les pays dans lesquels il souhaite obtenir un brevet national et il doit alors s’assurer de remplir les conditions nationales imposées par ces pays (par exemple, la traduction des revendications dans les langues nationales et le paiement des taxes nationales).

Par conséquent, lorsque le brevet européen doit être délivré pour de nombreux États membres (et constitue donc un vaste ensemble de titres nationaux), il peut s'avérer très coûteux. En outre, il est également très complexe sur le plan administratif, car les formalités doivent être accomplies pour chaque pays.

C'est pourquoi l'Union européenne, dès le début des années 2000, a souhaité mettre en place un titre de brevet simplifié et véritable pour les États membres de l'UE. Ce projet s’est avéré politiquement difficile à concrétiser, mais un compromis politique a finalement été trouvé entre un grand nombre d'États membres de l'UE, ce qui a conduit à l'adoption de deux règlements sur le brevet unitaire européen en 2012. Néanmoins, il aura fallu attendre jusqu'à aujourd'hui pour que ce nouveau titre de brevet devienne une réalité, car les États membres ont estimé que son entrée en vigueur devait être liée à la création d'une nouvelle juridiction des brevets. En raison des compromis politiques et du lien avec la juridiction, le brevet unitaire commencera avec 17 États membres de l'UE (la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas, la France, l’Italie, la Suède, la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Portugal, la Bulgarie, l’Autriche, le Danemark, le Luxembourg, la Malte et la Slovénie). D'autres États membres devraient rejoindre ce groupe dans les années à venir.

Brevets européens et brevets unitaires

Les brevets européens ne disparaîtront pas. Le brevet unitaire sera une forme particulière du brevet européen classique. La procédure de demande sera la même, à savoir une demande et une délivrance par l'Office européen des brevets à Munich. Après la délivrance du brevet européen, le demandeur disposera d'un mois pour demander la protection par un brevet unitaire pour les 17 États membres de l'UE concernés.

Une traduction supplémentaire devra être jointe à la demande : une traduction en anglais si le brevet a été délivré en allemand ou en français, et une traduction dans une langue officielle de l'UE - au choix du demandeur - pour les brevets délivrés en anglais.

Au lieu de devoir payer des taxes annuelles nationales dans chacun des États membres, le titulaire d'un brevet unitaire ne devra plus payer qu'une seule taxe annuelle à l'Office européen des brevets. Cette taxe annuelle correspond à peu près au coût d'un brevet européen groupé classique pour 4 États membres. En d'autres termes, pour le prix de 4 États membres et avec moins de formalités, le titulaire obtiendra une protection immédiate pour 17 États membres.

Le brevet unitaire étant un titre unique, il ne peut être cédé que pour l'ensemble des 17 États membres. Toutefois, il reste possible d’octroyer des licences par État membre. La nullité d'un brevet unitaire produit également ses effets dans les 17 États membres.

Outre le brevet unitaire, le titulaire d'un brevet européen peut, en parallèle, encore acquérir un brevet européen pour des États membres autres que les 17 États membres « unitaires » (par exemple, l'Espagne ou la Pologne)

Juridiction unifiée du brevet

À partir du 1er juin 2023, les portes s'ouvriront également à une toute nouvelle cour, la juridiction unifiée du brevet (« JUB »), mieux connue sous son nom anglais « Unified Patent Court » ou « UPC ».

La raison d'être de la JUB découle du fait que les violations de brevets européens nécessitaient jusqu'à présent des procédures parallèles dans différents États membres de l'Union européenne. En effet, chaque État membre avait une compétence exclusive pour statuer sur la validité de la partie nationale d'un brevet européen. Il en résultait souvent des conflits de compétence et des coûts élevés pour les titulaires de brevets qui voulaient faire valoir leurs droits.

La JUB sera uniquement compétente pour les litiges relatifs aux brevets unitaires et aux brevets européens classiques. En outre, pour les brevets européens, pendant une période de transition de 7 ans (qui peut être étendue à 14 ans), il sera possible d'exercer une option de retrait tant qu'une procédure n'aura pas été entamée devant la JUB. Les titulaires de brevets peuvent déjà exercer cette option depuis le 1er mars 2023 au moyen du système de gestion des affaires de la JUB. La renonciation peut être retirée une fois, à condition que la procédure devant une juridiction nationale n'ait pas encore commencé.

La JUB sera composée d'un tribunal de première instance et d’une cour d’appel établis à Luxembourg. Le tribunal de première instance sera composé de divisons régionales, locales et centrales dans de nombreux États membres participants, y compris une division locale en Belgique. Pour la zone nord-baltique (la Suède, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie), il existe une coopération avec une division régionale. Ces divisions locales et régionales sont principalement compétentes pour les affaires de contrefaçon. Trois divisions centrales de la JUB sont également compétentes pour les actions indépendantes en nullité contre les brevets. Il s'agit de Munich, de Paris et de Milan, cette dernière ayant été récemment désignée (après l'abandon de Londres en raison du Brexit).

La JUB a ses propres règles de procédure et ses propres juges. Pour chaque affaire portée devant une division locale ou régionale, un collège multinational de trois juges sera désigné. Dans les États membres comptant moins de 50 affaires de brevets par an (comme la Belgique), il s'agira d'un juge national et de deux juges extérieurs à l'État membre. Dans les États membres où il y a plus de 50 affaires de brevets par an (par exemple l'Allemagne et les Pays-Bas), il s'agira de deux juges nationaux et d'un juge d'un autre État membre. Pour les demandes reconventionnelles en nullité d'un brevet devant la division locale ou régionale et pour les demandes indépendantes en nullité devant les divisions centrales, un juge ayant reçu une formation technique sera ajouté à la formation de jugement.

La section locale belge sera située à Bruxelles, dans les locaux du SPF Economie. Le juge Sam Granata a été désigné comme juge belge permanent. La division locale de Bruxelles sera unique en ce sens qu'elle sera la seule division où les litiges pourront être menés en quatre langues : en néerlandais, en allemand, en français et en anglais. Les entreprises belges pourront ainsi faire valoir leurs droits en matière de brevets dans 17 États membres par l'intermédiaire de la division belge. Pour les entreprises internationales, il sera possible de plaider en anglais en Belgique.

Berceau du « paquet brevet » européen

Pieter Callens, associé IP/IT chez Eubelius, a assisté le gouvernement belge en tant que consultant, pendant la présidence belge de l'UE de 2010, dans la négociation et la rédaction des textes du « paquet brevet » de l'UE. Le 30 mai 2023 fut l'occasion d'heureuses retrouvailles avec un certain nombre de protagonistes des différents États membres. Sur la photo figurent Pieter et la « mère du paquet brevet », Mme Margot Fröhlinger, ancienne haute fonctionnaire de la Commission européenne et de l'Office européen des brevets.

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