La Cour Constitutionnelle bientôt expressément compétente pour le maintien des effets d'une disposition déclarée inconstitutionnelle par arrêt préjudiciel

Spotlight
15 décembre 2016

Les compétences de la Cour constitutionnelle seront bientôt élargies. Le législateur spécial veut rendre la Cour Constitutionnelle explicitement compétente pour le maintien des effets de dispositions qui ont été déclarée inconstitutionnelles par arrêt préjudiciel. Actuellement, la loi spéciale sur la Cour Constitutionnelle ne prévoit cette possibilité que dans le cadre du contentieux d'annulation.

Maintien des effets d'une disposition législative annulée

Lorsque la Cour Constitutionnelle annule une disposition législative, l'annulation a en principe un effet rétroactif. La loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour Constitutionnelle offre toutefois la possibilité à la Cour d'atténuer la rétroactivité de l'annulation, qui peut emporter des effets importants. En effet, la Cour peut indiquer les effets de la disposition annulée qui doivent être maintenus, tant pour le passé que pour un délai que la Cour accorde au législateur pour légiférer.

Ainsi la Cour peut garantir le respect de la Constitution et préserver la sécurité juridique et la continuité de l'administration. Celles-ci pourraient être atteintes en retirant rétroactivement une loi, un décret ou une ordonnance de l'ordre juridique.

Maintien des effets de dispositions légales déclarées inconstitutionnelles de manière préjudicielle?

La Cour peut également contrôler la constitutionnalité de dispositions légales de manière préjudicielle, c'est-à-dire à la demande de juridictions. Les dispositions jugées contraires à la Constitution, sont déclarées inconstitutionnelles. De telles déclarations d'inconstitutionnalité ont également un effet rétroactif.

Une disposition permettant à la Cour Constitutionnelle de maintenir les dispositions ayant été déclarées inconstitutionnelles, comme dans le contentieux d'annulation, n'existe pas encore à ce jour. En plus, le législateur spécial a délibérément refusé d'inscrire cette possibilité lors d'une modification antérieure de la loi spéciale en 2003.

La Cour Constitutionnelle va de l'avant

Sans que la loi spéciale ne prévoie de base légale explicite, la Cour Constitutionnelle s'est jugée compétente pour maintenir les effets de dispositions légales jugées contraires à la Constitution. Le premier exemple, qui est par ailleurs l'exemple le plus connu, concerne l'arrêt n° 125/2011 du 7 juillet 2011 en matière des différences de traitement entre employés et ouvriers.

La Cour trouva la différence de traitement discriminatoire, mais atténua immédiatement les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité pour le passé et le futur proche. La Cour jugea entre autres qu'il lui appartient "de rechercher, dans les affaires qui lui sont soumises, un juste équilibre entre l'intérêt de remédier à toute situation contraire à la Constitution et le souci de ne plus compromettre, après un certain temps, des situations existantes et des attentes qui ont été créées. Bien que le constat d'une inconstitutionnalité dans un arrêt préjudiciel soit déclaratoire, les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime peuvent dès lors justifier de limiter l'effet rétroactif qui peut découler d'un tel constat."

Il a fallu attendre 2014 avant que la Cour ne réapplique cette technique. Par après, les applications sont restées rares.

Le législateur spécial confirme la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle

Une proposition de loi spéciale récente, qui fut introduite au Senat, vise à confirmer expressément l'évolution de la jurisprudence.

Par le biais de leur initiative, les sénateurs ont voulu modifier la Loi Spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour Constitutionnelle en inscrivant la compétence explicitement dans la loi. Le projet complète l'article 28 de la Loi Spéciale par un nouvel alinéa 2, accordé, quasiment mot-à-mot, à l'article 8, alinéa 3 existant de la Loi Spéciale. Il a déjà fait l'objet de l'approbation de la séance plénière du Senat.

Le 8 décembre 2016, le projet de loi spéciale fut également adopté par la séance plénière de la Chambre. Le projet adopté, qui doit encore être sanctionné et promulgué, ne prévoit pas de disposition d’entrée en vigueur. La modification de la Loi Spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour Constitutionnelle entrera donc en vigueur 10 jours après sa publication au Moniteur Belge.

Conséquences pratiques

Bien que le législateur spécial ne fasse, à première vue, que confirmer la pratique existante de la Cour Constitutionnelle, cette modification pourrait emporter des conséquences pour la pratique. Dorénavant, on peut s'attendre à ce que la Cour Constitutionnelle maintienne plus souvent les effets de dispositions déclarées inconstitutionnelles de manière préjudicielle.

Il ressort des rapports annuels de la Cour Constitutionnelle qu'elle a décidé de maintenir les effets de normes annulées par des arrêts en annulation dans non moins de 25% de ces cas. Sur la période 2011-2015, il s'agit même d'un peu plus de 30%.

En revanche, pour la période 2014-2015, la Cour Constitutionnelle a maintenu les effets de dispositions déclarées inconstitutionnelles dans moins de 10% des arrêts préjudiciels ayant constaté des inconstitutionnalités. La Cour semble donc avoir fait usage de manière exceptionnelle de cette possibilité qui, au bout du compte, n'était prévue que pour le contentieux d'annulation. Cette possibilité étant reprise expressément dans la loi pour le contentieux préjudiciel, et la sous les mêmes conditions que celles du contentieux d'annulation, on peut s'attendre à un usage plus fréquent par la Cour. La nécessite de maintenir les conséquences d'une disposition légale qui, selon la Cour, est contraire à la Constitution, dépendra en effet surtout du contenu, de la portée et des effets juridiques de cette loi, plutôt que de la question si la violation de la Constitution a été constatée dans le cadre du contentieux d'annulation ou du contentieux préjudiciel.