Cour constitutionnelle : les clauses de préavis conclues par les employés supérieurs avant la loi statut unique restent valables

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31 octobre 2018

Dans un arrêt du 18 octobre 2018 (n° 140/2018)  la Cour constitutionnelle a jugé que l'article 68 de la loi statut unique viole le principe d'égalité et de non-discrimination en ce que, pour les employés supérieurs, il ne permet pas, pour le calcul de la première partie du délai de préavis liée à l'ancienneté acquise au 31 décembre 2013, l'application d'une clause de préavis qui était valable à cette date. 

Contexte

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 26 décembre 2013 concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement (ci-après « loi statut unique »), il existait des règles distinctes en matière de préavis entre ouvriers et employés, ainsi qu'entre employés dits « inférieurs » dont la rémunération annuelle était inférieure à 32.354 EUR, « supérieurs » dont la rémunération annuelle était supérieure à ce montant mais inférieure à 64.508 EUR, et « supérieurs » dont la rémunération annuelle était supérieure à 64.508 EUR.

Les employés supérieurs dont la rémunération annuelle était supérieure à 64.508 EUR pouvaient convenir avec leur employeur d'un délai de préavis au plus tard au moment de leur entrée en service. Ce délai était soit plus favorable soit moins favorable en comparaison avec le régime auquel ils auraient eu droit sans la clause. Quant aux autres employés supérieurs, ils pouvaient uniquement conclure une clause de préavis valable quand le délai de préavis convenu était plus favorable que le régime auquel ils auraient eu droit sans la clause.

Suite à la loi statut unique, des délais de préavis communs ont été fixés par la loi pour les employés et les ouvriers. Toutefois, des mesures transitoires ont été prévues. Le délai de préavis pour la période antérieure au 1er janvier 2014 est fixé forfaitairement à un mois par année d'ancienneté pour les employés supérieurs (avec un minimum de 3 mois), et est fixé en fonction des règles légales, règlementaires et conventionnelles en vigueur au 31 décembre 2013 pour les autres travailleurs.

Peu de temps après l'entrée en vigueur de la loi s'est posée la question du sort à réserver aux clauses de préavis valablement conclues par les employés supérieurs (que leur rémunération soit supérieure ou non à 64.508 EUR) avant le 1er janvier 2014. Selon une première tendance, celles-ci ne pouvaient plus s'appliquer parce que la loi ne le permettait pas, et le délai de préavis devait être fixé à un mois par année d'ancienneté conformément à la loi statut unique. Selon une seconde tendance, les clauses de préavis plus favorables que le délai de préavis légal devait pouvoir continuer à s'appliquer parce que les travaux parlementaires le précisaient. 

Question préjudicielle

Le Tribunal du travail de Gand, division d'Alost – confronté à une clause de préavis plus favorable à l'employé supérieur que le régime légal – a décidé que celle-ci ne pouvait pas s'appliquer. Pour le Tribunal du travail, le régime légal est clair et ne permet pas de prendre en compte des clauses de préavis conclues par des employés supérieurs avant le 1er janvier 2014.

Toutefois, le Tribunal du travail aperçoit une potentielle discrimination entre les employés supérieurs et les autres travailleurs. En effet, les clauses de préavis conclues par les employés supérieurs ne seraient pas tolérées par la loi statut unique, alors que les clauses de préavis conclues par d'autres travailleurs sont admises, puisque leur délai de préavis est notamment fixé en fonction des règles conventionnelles en vigueur au 31 décembre 2013. Le Tribunal du travail décide donc de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.

Décision de la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle juge, dans son arrêt n° 140/2018 du 18 octobre 2018, que la seule lecture possible de l'article 68 de la loi statut unique est qu'il ne permet pas de prendre en compte les clauses de préavis valablement conclues par les employés supérieurs avant le 1er janvier 2014.

La Cour examine ensuite s'il existe une discrimination entre les employés supérieurs et les autres travailleurs d'une part ; et entre les employés supérieurs qui ont ou non conclu une clause de préavis valable avant le 1er janvier 2014 d'autre part.

La Cour estime que les objectifs poursuivis par la disposition en cause, à savoir éviter que les employés supérieurs doivent au moment de la rupture du contrat négocier le délai de préavis concernant l'ancienneté acquise au 31 décembre 2013, et tenir compte des attentes légitimes de l'employeur et du travailleur, sont légitimes.

En revanche, la Cour constitutionnelle décide que le critère de distinction entre les employés supérieurs et les autres travailleurs, et celui entre les employés supérieurs ayant ou non conclu une clause de préavis valable avant le 1er janvier 2014, n'est pas pertinent pour atteindre ces objectifs. En effet, le régime légal de préavis s'applique aux employés supérieurs même en cas de clause de préavis valable, alors même qu'il existe déjà une sécurité contractuelle sur le délai de préavis applicable.

La Cour en conclut que la disposition en cause n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Toutefois, la Cour juge que dans l'attente de l'intervention du législateur, le juge de renvoi doit mettre fin à la violation de ces normes. En pratique, cela signifie que le juge pourra appliquer la clause de préavis.

Conclusion

L'arrêt de la Cour constitutionnelle apporte une réponse à la controverse relative à l'application ou non des clauses de préavis valables conclues par les employés supérieurs avant le 1er janvier 2014 pour la période d'occupation antérieure au 1er janvier 2014. La Cour estime en effet que les clauses de préavis valables doivent être appliquées en ce qui concerne la première partie du délai de préavis, c'est-à-dire le délai de préavis en lien avec l'ancienneté acquise avant le 1er janvier 2014. Un employeur ou un employé ne peut par conséquent pas refuser d'appliquer une clause de préavis valablement conclue avec un employé supérieur avant le 1er janvier 2014, que cette clause soit plus favorable à l'employé que le régime légal ou moins favorable. Avant de licencier un employé supérieur, il est donc essentiel de vérifier que son contrat ne contient pas une telle clause.

La Cour constitutionnelle ne s'est en revanche pas exprimé sur le mode de calcul du délai de préavis applicable pour l'ancienneté acquise après le 1er janvier 2014 : faut-il appliquer la clause de préavis si elle est plus favorable pour l'employé et comment faut-il l'appliquer le cas échéant, ou faut-il simplement appliquer le délai légal de préavis ? Cette question reste à l'heure actuelle sans réponse univoque.