La Cour de justice de l'Union européenne apporte des éclaircissements sur les droits de veto et les comportements que les parties doivent éviter en attendant que la Commission approuve leur opération de fusion et d'acquisition. La Cour confirme également qu'un même comportement peut donner lieu à une double amende.
Altice, une entreprise néerlandaise de câbles et de télécommunications, a enfreint les règles de l'UE en matière de contrôle des concentrations en mettant en œuvre prématurément l'acquisition de PT Portugal (« gun jumping »), c'est-à-dire (en partie) avant que l'opération n'ait été notifiée à la Commission et qu'elle n'ait reçu l'autorisation de cette dernière. En 2018, la Commission avait imposé une amende d’un total de 124,5 millions d'euros. Altice a contesté la décision de la Commission devant le Tribunal en 2021, puis devant la Cour en 2023, mais sans succès. Toutefois, le Tribunal et la Cour ont tous les deux légèrement réduit le montant de l'amende.
Les deux appels confirment l'approche de la Commission et clarifient ce qui est autorisé et ce qui est interdit en vertu des règles européennes en matière de contrôle des concentrations. D'une part, l'accord de vente et d'achat avait accordé à Altice le droit d'exercer une influence déterminante sur PT Portugal (« entreprise cible ») avant la clôture de l'opération et, d'autre part, le comportement d'Altice entre la signature et la clôture de la transaction constituait l'exercice effectif d'une influence déterminante. La Cour a également approuvé l'imposition d'une double amende infligée par la Commission. Puisque certaines mesures adoptées par Altice avaient déjà pris place avant la notification de l'opération, la Commission avait à juste titre constaté à la fois une violation de l’interdiction de mise en œuvre et de l'obligation de notification, énoncées respectivement à l'article 7, paragraphe 1, et à l'article 4, paragraphe 1, du règlement européen sur les concentrations. Chaque infraction a donné lieu à une amende distincte.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces arrêts, notamment concernant les droits de veto qui confèrent une influence décisive sur les entreprises cibles. En effet, la Cour, statuant en faveur de la Commission, considère que les droits de veto – pris ensemble ou individuellement – constituent gun jumping lorsqu'ils concernent : (a) la nomination et la révocation des cadres supérieurs de l’entreprise cible, (b) la politiques de prix de l’entreprise cible, et (c) les matières commerciales quotidiennes de l’entreprise cible (à savoir la conclusion, la résiliation et la modification de contrats dépassant certains seuils monétaires relativement bas). Certains droits de veto peuvent être nécessaires pour préserver la valeur de l'activité de l’entreprise cible en attendant la conclusion de l'opération et peuvent donc être justifiés. En l'espèce, toutefois, la Commission a constaté à juste titre que les droits de veto accordés à Altice allaient bien au-delà de ce qui était nécessaire pour garantir la valeur de PT Portugal en attendant la clôture de la transaction.
En outre, la Commission a constaté qu'Altice avait exercé un contrôle opérationnel effectif sur les activités de l’entreprise cible entre la signature et la clôture de la transaction. Dans sa décision, la Commission a relevé qu’à plusieurs reprises, avant la notification et l'autorisation de l’acquisition,
PT Portugal avait demandé à Altice de lui fournir des instructions concernant des décisions commerciales et, par la suite, a (accepté de) mettre en œuvre ces instructions. Selon la Commission, aucune de ces actions n'était nécessaire pour préserver la valeur de l’entreprise cible. La Cour a suivi le raisonnement de la Commission, à une exception près. En effet, la Cour a jugé que l'opposition d'Altice à l'introduction d'une chaîne de télévision destinée aux chiens protégeait la réputation, et donc la valeur de PT Portugal.
Enfin, la Cour a suivi l'avis de la Commission selon lequel l'échange d'informations commercialement sensibles entre Altice et l’entreprise cible a contribué à un gun jumping, en violation du règlement européen sur les concentrations. Les parties à une transaction doivent faire preuve de prudence lorsqu'elles échangent des informations commercialement sensibles et granulaires avant la clôture de la transaction, et surtout après la signature. Elles pourraient par exemple veiller à ce que les échanges soient limités à la phase de due diligence. Les échanges après la signature devraient être minimales et se limiter à ce qui est nécessaire pour planifier la mise en œuvre après le feu vert de la Commission. En tout état de cause, les échanges doivent être encadrés par des règles « clean teams » suffisamment robustes.
En résumé, avant la notification de la transaction et l'autorisation de la Commission, il convient d’être prudent lors de la rédaction des dispositions qui, d'une manière ou d'une autre, ont une incidence sur la politique commerciale de l’entreprise cible. De façon similaire, l'acquéreur devrait éviter d'exercer prématurément un contrôle opérationnel effectif sur les activités de l’entreprise cible.