Votre société investit-elle en Belgique et un précompte mobilier est-il levé sur ses revenus?

Spotlight
14 septembre 2018

Le précompte mobilier (« PM ») levé sur les paiements d'intérêts, de dividendes et de redevances peut décourager des investisseurs non-résidents d'investir en Belgique. Cela est principalement dû au fait que le PM est levé sur le montant brut du revenu et constitue une taxe définitive pour les investisseurs non-résidents. En revanche, si ces investisseurs étaient établis en Belgique, ils seraient imposés sur le montant net de leurs revenus après déduction d'éventuels frais d'investissement et/ou des pertes fiscales reportées et pourraient bénéficier d'avantages fiscaux spécifiques (c'est-à-dire des exonérations et/ou crédits d'impôts). En effet, des investisseurs non-résidents qui reportent des pertes fiscales et/ou bénéficient d'un régime d'imposition avantageux dans l'état de résidence ne peuvent généralement bénéficier des crédits d'impôt pour le PM belge.

Pour « résoudre » ce problème, les prêteurs non-résidents incluent souvent des clauses dans leurs contrats de prêt qui font supporter la charge fiscale additionnelle par l'emprunteur belge. Ces clauses, qu'on appelle « clauses de brutage », affaiblissent toutefois la position compétitive des prestataires de services financiers étrangers qui ne sont pas exemptés du PM par le droit national ou par des dispositions de traités internationaux. Cela vaut également pour les redevances transfrontalières ce qui, soit, rend ces services moins lucratifs, soit, augmente le coût de la technologie pour les titulaires de la licence.

Les taxes prélevées sur les dividendes non visés par la directive mère-filiale, font rarement l'objet de clauses de brutage et peuvent donc réduire sensiblement le rendement de l'investissement.

Libertés européennes contre précomptes mobiliers: CJUE et ses arrêts-phare 

Dans ces derniers dix ans, la Cour de Justice de l'Union européenne (« CJUE ») s'est penchée sur des barrières fiscales qui limitent les libertés fondamentales de l'Union Européenne (UE) (comme la liberté d'établissement, la libre circulation des capitaux et la libre prestation des services). Beaucoup d'affaires de la CJUE abordent le problème qui est inhérent à la nature du PM, c'est-à-dire l'imposition des montants bruts comparé à la pression fiscale effective des investisseurs résidents. 

La jurisprudence récente de la CJUE et les conclusions de l'Avocat-Général mettent encore plus de pression sur les états membres afin qu'ils reconsidèrent leurs régimes fiscaux pour les non-résidents et afin qu'ils permettent aux sociétés de réclamer le remboursement des taxes excessives retenues sur les revenus de leurs investissements. Ci-après suit un résumé de certains moments-clés de cette jurisprudence.

Des actionnaires étrangers ne peuvent pas être traités moins favorablement que des actionnaires résidents

Il est devenu clair que les états membres ne peuvent pas imposer aux actionnaires non-résidents une charge fiscale plus lourde sur les dividendes par rapport aux sociétés résidentes jouissant d'avantages fiscaux tels que l'exemption de participation, une base d'imposition réduite pour OPCVM et/ou des crédits d'impôt (cf. CJUE C-487/08, Commission c. Espagne; C-540/07, Commission c. Italie; C-303/07, Aberdeen; C-379/05, Amurta; C-170/05, Denkavit; Cour Aele E-1/04, Fokus Bank). 

La décision Tate & Lyle de 2012 (C-384/11) a obligé le législateur belge d'introduire un taux réduit pour le PM sur les dividendes distribués aux sociétés bénéficiaires non-résidentes détenant une participation de moins de 10% dans le capital de la société distributrice (c'est-à-dire les sociétés qui ne peuvent bénéficier de l'exemption du PM sous la directive mère-filiale) mais dont la valeur d'acquisition atteint un certain minimum pour bénéficier de l'exemption de participation belge (ladite « déduction RDT »). Conformément à l'augmentation de l'exemption de participation (de 95% à 100%) dans le cadre de la réforme de l'impôt des sociétés, ce taux particulier du PM est même devenu une exonération complète du PM depuis le 1er janvier 2018.

La taxation des revenus d'intérêts bruts viole le droit européen

La CJUE a également jugé que, bien que les états membres peuvent taxer des non-résidents en retenant un PM (C-282/07, Truck Center), cette retenue du PM ne peut pas déboucher sur la taxation des non-résidents sur le montant brut de leurs revenus, alors que les résidents sont taxés sur un montant net, après déduction des frais (C-18/15, BristalKBC Finance). L'affaire BrisalKBC Finance concernait des paiements d'intérêts par un emprunteur portugais, Brisal, à un syndicat de banques, dont faisait partie une banque irlandaise, KBC Finance. Brisal était obligé de retenir une taxe de 15% sur ses paiements d'intérêts à KBC Finance (ce qui était un taux réduit en vertu du traité de double imposition). Aucun PM n'était retenu sur les paiements d'intérêts aux emprunteurs portugais qui étaient, en outre, taxés sur une base nette. La CJUE a jugé que les contribuables non-résidents devraient être autorisés à déduire les frais « directement liés aux revenus d'intérêts tirés d'un contrat de prêt financier ».

Bien que cette décision laisse éventuellement subsister la question de savoir quels frais sont considérés comme étant directement liés au revenu concerné, cette jurisprudence doit être vue comme constituant un jalon qui donnerait, clairement, lieu à d'autres questions.

Conclusions de l'Avocat Général concernant l'imposition des investisseurs déficitaires et le PM sur les dividendes bruts

L'une des questions posées suite à l'affaire BrisalKBC Finance concerne la situation des sociétés déficitaires non-résidentes. Puisque le PM est levé sur des montants perçus bruts, les investisseurs non-résidents risquent en tout cas de devoir subir un désavantage considérable de trésorerie par rapport aux investisseurs résidents se trouvant dans une situation comparable. En effet, ces derniers ne seront imposés que si leur résultat devient ou redevient bénéficiaire. A cause de cela, des sociétés déficitaires résidentes qui sont assujetties au PM peuvent réclamer un remboursement, alors que des sociétés déficitaires non-résidentes sont soumises à une charge fiscale effective et immédiate.

Le Conseil d'Etat français a soumis, à cet égard, une demande de décision préjudicielle à la CJUE. Trois sociétés belges recevaient des dividendes de sociétés françaises qui ne pouvaient bénéficier de l'exemption de participation dans le cadre de la directive mère-filiale. Vu que les sociétés belges étaient déficitaires, le PM était une charge non récupérable. Les sociétés belges considéraient qu'elles étaient discriminées par rapport aux sociétés françaises se trouvant dans une situation similaire et réclamaient le remboursement de la taxe levée.

L'Avocat Général Wathelet (conclusions du 7 août 2018 dans l'affaire C-575/17) voyait un désavantage important et ingérant dans la libre circulation du capital dans le fait que les sociétés déficitaires françaises sont imposées sur le montant des dividendes qu'elles reçoivent seulement au moment où leur résultat devient ou redevient bénéficiaire (et potentiellement jamais si elles sont liquidées avant cette date) alors que des sociétés déficitaires non-résidentes sont toujours taxées sur les montants perçus bruts. D'après l'Avocat Général, ce désavantage ne peut pas être justifié ni par l'objet ou le but ni par la cohérence du système fiscal; imposer des non-résidents sans (directement) imposer des résidents est tout simplement discriminatoire.

En outre, l'Avocat Général considère que le fait que les investisseurs étrangers ne peuvent pas déduire les frais directement liés à la réception/collection des dividendes, alors que des investisseurs résidents le peuvent, est une restriction non justifiée de la libre circulation des capitaux qui ne peut pas être compensée par le taux d'imposition plus élevé portant sur le revenu net des sociétés résidentes. L'Avocat Général suit donc la jurisprudence BrisalKBC Finance

La CJUE n'a pas encore rendu sa décision, mais elle suit généralement les conclusions de son Avocat Général. C'est pourquoi des investisseurs étrangers ont intérêt à (faire) examiner dès à présent les chances de succès d'éventuelles demandes ou réclamations (en ce compris des mesures conservatoires). 

Qu'est-ce que tout cela signifie pour votre société ? 

Si votre société reçoit des paiements d'intérêts, de dividendes et/ou de redevances provenant de la Belgique, mais que son investissement a été financé principalement par des prêts, et/ou si votre société est déficitaire, vous pourriez envisager de réclamer un remboursement des taxes retenues en Belgique. 

Nous serions heureux de vous aider dans l'évaluation de l'opportunité d'une telle procédure.