Le règlement abus de marché entre en vigueur: modifications importantes

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15 juin 2016

A partir du 3 juin 2016, un nouveau cadre juridique sera d'application pour les abus de marché. Le règlement européen 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché ("Règlement abus de marché") entrera en vigueur. Le 17 mai 2016, le gouvernement fédéral belge a déposé un projet de loi qui vise notamment la mise en œuvre partielle du Règlement abus de marché. Dans ce cadre, la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers sera modifiée et l'arrêté royal du 5 mars 2006 relatif aux abus de marché sera abrogé. Le 18 mai 2016, la FSMA a publié une circulaire contenant des instructions pratiques relatives au Règlement abus de marché.

Un cadre juridique actualisé

Le Règlement abus de marché remplace, à partir du 3 juillet 2016, la directive 2003/6/EG du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) ("Directive abus de marché"). Il procède à une extension du champ d'application, ainsi qu'à un renforcement et à un perfectionnement de la réglementation européenne en matière de lutte contre les abus de marché. Suite aux développements de la législation, des marchés financiers et de la technologie depuis l'entrée en vigueur de la Directive abus de marché, qui ont fortement modifié le paysage financier, le besoin s'était fait ressentir d'actualiser le cadre juridique des abus de marché. Les nouvelles règles ont été introduites dans un règlement, ce qui implique qu'elles seront d'application directe en droit belge et garantit des conditions de concurrence équitables entre les Etats membres.

Le Règlement abus de marché est complété par la directive 2014/57 du 17 décembre 2015 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché et est exécuté par (i) le règlement délégué 2016/522, (ii) les règlements d'exécution 2016/347, 2016/378 en 2016/523, et (iii) la directive d'exécution 2015/2392, qui contiennent des modalités techniques.

Le projet de loi n°1835/001 désigne la FSMA comme autorité de contrôle compétente, confirme qu'elle peut exercer son pouvoir d'enquête tel qu'il existe afin d'agir en cas de violation du Règlement abus de marché et augmente les montants maximum des amendes administratives que cette dernière peut infliger. Le projet de loi ne prévoit pas d'exigences supplémentaires ou plus strictes que le Règlement: l'amende administrative due en cas d'abus de marché est de maximum 5 millions d'euros pour les personnes physiques et de 15% du bénéfice annuel pour les personnes morales.

Dans un second temps sera rédigé un autre projet de loi relatif notamment à certains nouveaux pouvoirs d'enquête de la FSMA.

Extension du champ d'application du Règlement abus de marché

Le champ d'application du Règlement abus de marché est sensiblement plus large que celui de la Directive abus de marché, qui avait seulement trait aux instruments financiers admis à la négociation sur un marché réglementé d'un État membre de l'Union et aux instruments financiers dérivés liés à ceux-ci.

Le Règlement abus de marché étend le champ d'application aux instruments financiers négociés (ou qui font l'objet d'une demande d'admission à la négociation) sur d'autres plateformes de négociation (électroniques) (systèmes multilatéraux de négociation ("MTF"), systèmes organisés de négociation ("OTF")) et aux instruments financiers dérivés qui sont négociés sur ces plateformes de négociation alternatives ou "over the counter" ("OTC"). En outre, les quotas d'émission et les instruments dérivés sur matières premières seront désormais soumis au Règlement abus de marché.

Les informations privilégiées peuvent avoir trait aux étapes intermédiaires d'un processus étalé dans le temps

La définition d'information privilégiée n'a pas fait l'objet de modifications substantielles. L'occasion a toutefois été mise à profit afin de reprendre dans le Règlement les enseignements de l'arrêt Markus Geltl / Daimler (affaire C-19/11) de la Cour de justice du 28 juin 2012, en vertu duquel les étapes intermédiaires d'un processus étalé dans le temps (comme la négociation en vue d'une fusion) peuvent également constituer des informations privilégiées qu'une société cotée est tenue de divulguer.

Extension de l'interdiction d'effectuer des opérations d'initiés

Le Règlement abus de marché étend toutefois l'interdiction d'effectuer des opérations d'initiés. Est désormais considérée comme une opération d'initié non seulement le fait de passer des ordres, mais également l'annulation ou la modification de ceux-ci lorsque l'on vient à connaître d'informations privilégiées.

Règles modifiées en matière de retard de publication d'informations privilégiées

Les émetteurs sont en principe soumis à l'obligation de procéder immédiatement à la publication d'informations privilégiées les concernant. Dans certaines circonstances, ils pourront néanmoins différer cette publication. Cette exception, et les critères qui doivent être remplis afin de pouvoir bénéficier de cette exception, sont maintenus dans le Règlement abus de marché.

À l'inverse de ce qui était prévu jusqu'à présent, les émetteurs concernés ne devront plus informer immédiatement la FSMA de leur décision de différer la publication d'informations privilégiées, mais ils devront seulement le faire après la publication de l'information. Les émetteurs devront alors faire état, dans un écrit adressé à la FSMA, de la manière dont les conditions pour le retard de publication ont été satisfaites. Les émetteurs devront donc conserver en interne les documents attestant des éléments sur base desquels ils estiment pouvoir bénéficier de cette exception et, le cas échéant, actualiser cette analyse en fonction de circonstances modifiées.

Ce n'est que dans des cas exceptionnels que les émetteurs devront encore notifier à l'avance leur intention de différer la publication d'informations privilégiées à la FSMA, à savoir quand il s'agit d'un établissement de crédit ou un établissement financier confronté à un problème temporaire de liquidité.

Listes d'initiés: utilisation obligatoire de formulaires standard

Dans le cadre de la prévention d'opérations d'initié, les émetteurs restent soumis à l'obligation de dresser (et d'actualiser constamment) des listes de personnes disposant d'informations privilégiées. Pour ce faire, ils doivent désormais employer les formulaires standard disponibles sur le site de la FSMA. Ces listes doivent être conservées durant cinq ans et peuvent être demandées par la FSMA. Les émetteurs doivent également disposer d'une déclaration écrite des personnes concernées dans laquelle ils indiquent être au courant de leurs obligations légales et des sanctions qui sont applicables aux opérations d'initié et à la divulgation illicite d'informations privilégiées.

Transactions effectuées par les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes: extension de l'obligation de notification – période d'arrêt

Le Règlement abus de marché modifie également certains aspects de l'obligation, pour les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes au sein d'un émetteur et les personnes ayant un lien étroit avec elles, de notifier à cet émetteur et à la FSMA toute transaction effectuée pour leur compte propre et se rapportant aux actions dudit émetteur ou à des instruments dérivés liés à celles-ci.

Le Règlement abus de marché étend tout d'abord cette obligation de notification à de nouvelles transactions, comme les transactions relatives à des titres de créance, le prêt ou la mise en gage d'instruments financiers, et les transactions effectuées par des intermédiaires, y compris lorsqu'un pouvoir discrétionnaire est exercé par ces derniers.

L'obligation de notification est seulement d'application lorsque le montant total des transactions en question au cours d'une même année civile dépasse le seuil des 5.000 euros. Le Règlement abus de marché prévoit la possibilité d'augmenter ce seuil jusqu'à 20.000 euros, mais le législateur ne fera, semble-t-il, pas usage de cette possibilité.

La notification doit être faite à l'émetteur et à la FSMA dans les trois jours ouvrables (au lieu de cinq) après la date de la transaction via une application de notification en ligne. Le Règlement précise que l'émetteur doit publier la notification reçue, mais laisse la possibilité aux Etats membres d'opter pour une publication centralisée par l'autorité de contrôle. Dans le projet de loi 1835/001, le gouvernement belge indique qu'il souhaite faire usage de cette option. La pratique existante consistant en la publication sur le site internet de la FSMA serait donc maintenue.

Il est également important de noter que le Règlement abus de marché prévoit, pour les "transactions effectuées par les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes" une période d'arrêt (c'est-à-dire d'interdiction) de 30 jours calendaires avant l'annonce d'un rapport financier intermédiaire ou d'un rapport de fin d'année que l'émetteur est tenu de rendre public. Les entreprises ne pourront donc plus fixer elles-mêmes la durée de cette période d'arrêt comme c'est actuellement le cas en droit belge. Ce n'est qu'avec l'accord de la société et sur demande écrite et motivée que l'interdiction de négocier durant les périodes d'arrêt pourra être levée dans des circonstances exceptionnelles (pour autant que l'on ne dispose pas d'informations privilégiées).

Interdiction des manipulations de marché: liste non exhaustive (d'indicateurs) de comportements interdits

L'interdiction de manipulations de marché est étendue, entre autres aux comportements en rapport avec les indices de référence (par exemple LIBOR ou EURIBOR). Outre une définition plus large de la manipulation de marché, le Règlement abus de marché contient une liste (non exhaustive) de comportements qui doivent en principe être considérés comme des manipulations de marché et d'indicateurs qui peuvent laisser présager des pratiques manipulatoires. Par ailleurs, le Règlement abus de marché prévoit toujours un safe harbour pour les transactions, les ordres et les comportements effectués pour des raisons légitimes et en accord avec une pratique de marché acceptée par la FSMA suivant la procédure prévue à cet effet. Jusqu'à présent, sous la Directive abus de marché, la FSMA n'a pas encore reconnu de pratiques de marché admises.

Sondages de marché

En vertu de l'actuel article 25, 1°, b) de la loi du 2 août 2002, il est interdit à toute personne qui dispose d'informations privilégiées de communiquer pareilles informations à un tiers, si ce n'est dans le cadre normal de l'exercice de son travail, de sa profession ou de ses fonctions.

Cette interdiction (ainsi que l'exception qu'elle contient) est reprise telle quelle dans le Règlement abus de marché, mais le législateur européen a précisé que la divulgation d'informations privilégiées dans le cadre d'un "sondage de marché", est réputée, à certaines conditions, avoir eu lieu dans le cadre normal de l'exercice du travail, de la profession ou des fonctions et ne constituera ainsi pas une violation de l'interdiction susmentionnée.

La notion d'un sondage de marché comprend "la communication d'informations, avant l'annonce d'une transaction, afin d'évaluer l'intérêt d'investisseurs potentiels pour une transaction éventuelle et les conditions attachées à celle-ci, telles que son volume ou ses conditions tarifaires éventuelles, à un ou plusieurs investisseurs potentiels par un participant au marché communicant".

Pour qu'il puisse se prévaloir de l'exception relative au sondage de marché, le sondeur devra obtenir l'accord préalable de la personne visée par le sondage de marché en vue de la communication d'informations privilégiées. Il devra informer cette personne de façon suffisante du caractère confidentiel des informations communiquées et de l'interdiction d'acquérir ou de céder les instruments financiers auxquels ces informations se rapportent, ainsi que de l'interdiction d'annuler et de modifier des ordres pour ces instruments financiers.

En outre, le sondeur devra, avant de procéder à un sondage de marché, déterminer si le sondage de marché impliquera la communication d'informations privilégiées. Le sondeur devra consigner par écrit sa conclusion ainsi que les raisons l'ayant amené à cette conclusion et devra fournir ces documents écrits à la FSMA si celle-ci le demande. La FSMA a précisé la portée de cette obligation dans sa circulaire 2016/8.

Lorsque les informations en question cessent, à un moment donné, d'être privilégiées, le sondeur devra le notifier aux investisseurs concernés, sans préjudice de l'obligation autonome de ces derniers d'examiner, à tout moment, si les informations dont ils disposent constituent des informations privilégiées.

Obligation de notification par les intermédiaires d'ordres et de transactions suspects: l'accent sur la détection proactive

Par ailleurs, le Règlement abus de marché impose de nouvelles obligations importantes tant aux personnes qui organisent ou exécutent des transactions concernant des instruments financiers à titre professionnel qu'à des opérateurs d'un marché réglementé, d'un MTF ou d'un OTF. Ces personnes devront signaler sans délai à la FSMA tous les ordres et les transactions suspects qui pourraient s'avérer être (une tentative d') des opérations d'initiés ou des abus de marché ("STOR" – "suspicious order and transaction reporting"). Cette nouvelle obligation va au-delà de l'actuel article 25bis, §4 de la loi du 2 août 2002, qui ne prévoit une obligation de notification qu'en cas de transactions suspectes. Désormais, il n'est plus nécessaire de vérifier s'il y a eu exécution d'ordres et, le cas échéant, de vérifier où ces ordres ont été exécutés (par exemple, des transactions OTC). Le formulaire standard qui doit être utilisé pour cette notification est disponible sur le site web de la FSMA.

En outre, les opérateurs d'un marché réglementé, d'un MTF ou d'un OTF devront établir et maintenir des mesures, des systèmes et des procédures efficaces en vue de la détection et de la notification d'ordres et de transactions suspects. Ils seront tenus de disposer d'un système de suivi (automatisé) qui permet d'analyser, individuellement et comparativement, chaque ordre ou transaction, et qui donne des alertes lorsqu'une analyse plus approfondie est requise. Ces systèmes et procédures internes doivent être documentés et les analyses des notifications doivent être conservées pendant cinq ans.