Les entreprises et associations d'entreprises actives dans les secteurs considérés comme prioritaires doivent compter sur une vigilance accrue de la part de l'Autorité belge de la concurrence (l’ABC ou l’Autorité). Chaque année, l’ABC publie une note reprenant sa politique de priorités. Cette année, elle opte pour une nouvelle mise en page sans pour autant changer la structure de sa note. Tout comme l'année dernière, elle utilise une présentation en deux parties dans laquelle, d'une part, elle indique les secteurs dans lesquels elle sera particulièrement vigilante et, d'autre part, elle expose ses projets et actions stratégiques prioritaires afin de renforcer sa politique de concurrence.
Cinq secteurs prioritaires
Cette année, l'ABC identifie cinq secteurs prioritaires. Ceux-ci correspondent en grande partie à sa politique de priorités des années précédentes. Il s’agit de (1) le secteur agroalimentaire, (2) les soins de santé, (3) les services de base, (4) la numérisation de l’économie et les télécommunications, et (5) nouveauté cette année – le secteur de la construction. Elle définit ses priorités en fonction des domaines où son intervention peut avoir le plus d’impact, tout en tenant compte de ses ressources limitées. Le cadre d’analyse complet visant à déterminer les affaires prioritaires est expliqué en détail dans l'annexe de la note de priorités. Cela étant dit, le fait que l’ABC identifie des secteurs prioritaires ne signifie pas que les autres secteurs échappent à l’application du droit de la concurrence ; l’ABC n’en exclut aucun et il reste possible qu’elle engage des procédures en dehors de ces secteurs prioritaires.
Dans le secteur agroalimentaire, l'Autorité mène actuellement plusieurs enquêtes, notamment en matière d’abus de position dominante, d’abus de dépendance économique et d’accords anticoncurrentiels. Ainsi, elle a récemment déclaré contraignants les engagements de la fédération professionnelle Belgapom concernant l’élaboration d’un indice de prix dans le secteur de la pomme de terre. L’ABC reste également vigilante face à la consolidation croissante dans le secteur, et elle prête attention aux défis liés à la transition durable du secteur.
Dans le secteur de la construction, l’ABC se concentre sur la concurrence tout au long de la chaîne de valeur. Elle veille en particulier au respect des règles relatives à la refacturation de postes de coûts importants (tels que l'énergie et les matières premières) et aux marchés publics et elle surveille le renforcement de la consolidation du secteur. En effet, dans les segments très concentrés, avec d'importantes barrières à l'entrée et peu d'alternatives permettant aux acheteurs de passer à d'autres matériaux, le pouvoir d'achat est plus limité.
En 2025, l’ABC continue de considérer les soins de santé, y compris l’industrie pharmaceutique, comme une priorité. Elle souhaite garantir le fonctionnement efficace du secteur, malgré une règlementation stricte, en stimulant la qualité et l’accessibilité des soins. Plus précisément, l’ABC continuera à surveiller l'ensemble de la chaîne de valeur pharmaceutique, en mettant l'accent sur la consolidation des réseaux de pharmacies et son impact sur l'accessibilité, la gamme de produits et la prestation de services. En début d’année, elle a approuvé l’acquisition des pharmacies Goed par Multipharma, sous certaines conditions. Dans le cadre de cette transaction, l’ABC a acquis une connaissance approfondie du marché.
En ce qui concerne les services de base, l’ABC surveille de près le fonctionnement des professions réglementées du secteur financier et juridique, ainsi que les secteurs de l’énergie. Elle estime que, bien que cette régulation soit nécessaire, elle peut également perturber le fonctionnement du marché. Elle plaide pour une révision des réglementations du marché et des professions lorsqu’elles restreignent ou faussent excessivement la concurrence, et souhaite réduire l’asymétrie de l’information et les obstacles à la mobilité des consommateurs. En outre, l'Autorité continue de surveiller activement la concurrence dans le secteur de l'énergie et dans les services financés par les pouvoirs publics, tels que les transports publics et la sécurité, afin de garantir l'efficacité, la pression sur les prix et le soutien à la transition énergétique.
Enfin, l’ABC considère la numérisation de l'économie comme une priorité absolue, en se concentrant particulièrement sur les activités des acteurs locaux. Elle poursuit sa politique des années précédentes et veille à une concurrence loyale sur les plateformes numériques, dans le développement de l’intelligence artificielle et dans les services après-vente, où elle veut prévenir les abus de position dominante et l’abus de la dépendance économique. Elle suit également de près l’application du règlement européen sur les marchés numériques (DMA), notamment pour stimuler l’innovation dans le secteur numérique. Dans ce contexte, l'Autorité a publié Un guide concis pour les challengers technologiques à la fin de l'année dernière qui examine les diverses obligations des « gatekeepers » (c'est-à-dire les grandes plateformes qui contrôlent l'accès aux marchés numériques) et indique où et comment les entreprises lésées peuvent signaler le non-respect des règles du DMA. En 2025, l’ABC publiera une présentation plus détaillée de sa politique en matière de protection de la concurrence dans le secteur numérique.
Le secteur des télécommunications reste également important, avec une attention portée au déploiement d’infrastructures (comme la fibre optique et la 5G), à l’évolution des prix et à l’accès au marché. Cela ne surprend pas, étant donné que le nouveau président a été actif pendant de nombreuses années auprès du régulateur des télécoms.
Projets et actions stratégiques
Outre les secteurs prioritaires, l’Autorité définit également un certain nombre de projets stratégiques et de points d’action pour 2025. De nombreuses initiatives prometteuses sont à venir.
Tout d’abord, l’Autorité annonce qu’elle fera usage en 2025 de ses compétences pour mener des enquêtes générales ou sectorielles en cas de dysfonctionnement du marché (en vertu de l'article IV. 47 du CDE). Elle a d’ores et déjà lancé une première enquête générale sur les mécanismes sectoriels de révision et d’indexation des prix dans l’économie belge (voy. notre contribution précédente et le communiqué de presse de l’ABC).
Par ailleurs, l’ABC prépare trois notes que nous attendons avec intérêt. Ces notes traiteront de thématiques liées au droit de la concurrence dans les domaines du développement durable, de la stratégie numérique et de la mobilité des travailleurs (y compris l’utilisation de clauses de non-débauchage).
Deuxièmement, l’ABC élabore une stratégie de mise en œuvre pour lutter efficacement contre la collusion entre entreprises lors de la soumission des offres pour des marchés publics (bid rigging), compte tenu de l’importance de ces marchés pour l’économie européenne et pour une concurrence loyale. Elle rappelle qu’elle agit avec rigueur face à de telles infractions, comme en témoignent les récentes amendes qu'elle a imposées dans les secteurs de la sécurité privée et de la protection incendie. Par ailleurs, le Guide pour les acheteurs chargés des marchés publics publié précédemment par l’ABC sera mis à jour et l'Autorité travaille sur une campagne de sensibilisation afin de mieux soutenir les adjudicateurs dans l’identification et la dénonciation des pratiques suspectes. Il s'agit d'une ambition de longue date de l’ABC, qui semble maintenant prendre de l'ampleur.
Troisièmement, en 2025, l’ABC vise à renforcer le cadre légal, avec un accent particulier sur le contrôle des concentrations. Cela implique notamment une révision du formulaire de notification des concentrations, une évaluation des procédures de concentration et une réflexion sur l’introduction d’une compétence de « call-in », permettant d’examiner des transactions n’atteignant pas les seuils de notification (voy. notre contribution précédente).
Enfin, l’ABC examine, en collaboration avec le gouvernement fédéral, l’introduction en droit belge d’un « New Competition Tool » qui lui permettrait de proposer des mesures correctives à l’issue d’enquêtes sectorielles ou générales sur les marchés. Un tel outil, par exemple dans le cadre de l’enquête mentionnée sur les mécanismes d’indexation des prix dans l’économie belge, gagnerait en efficacité s’il permettait également d’imposer des remèdes contraignants, ce qui n'est pas encore possible à ce jour.
Conclusion
La note de priorités de l’ABC pour 2025 démontre que l’Autorité se positionne plus que jamais de manière proactive et stratégique dans le paysage économique belge. Les entreprises ont tout intérêt à tenir compte de la vigilance accrue de l’ABC dans les différents secteurs clés. Elles doivent en particulier être attentives à l’intérêt croissant de l’Autorité pour les problèmes structurels des marchés, à travers des enquêtes générales et de nouveaux instruments politiques. Il est donc essentiel pour les entreprises d’évaluer de manière critique leur comportement sur le marché et leurs formes de coopération, en particulier dans les secteurs marqués par la consolidation, la numérisation ou des pratiques professionnelles réglementées.