Détachement de travailleurs : le certificat A1 peut être écarté par les juridictions nationales en cas de fraude !

Spotlight
15 mars 2018

Dans un arrêt du 6 février 2018 (C-359/16) , la Cour de Justice a pour la première fois admis la possibilité pour les juridictions nationales de l'Etat membre d'accueil d'écarter le certificat A1 d'un travailleur détaché en cas de fraude, si les institutions de l'Etat membre d'origine demeurent inactives. Cet arrêt va faciliter la tâche de l'inspection sociale pour débusquer les détachements illégaux.

Contexte

L'arrêt de la Cour de Justice s'inscrit dans le contexte du détachement de travailleurs. En règle, les travailleurs sont soumis, en matière de sécurité sociale, à la législation de l'Etat membre dans lequel ils travaillent. Par exception, les travailleurs détachés temporairement dans un autre Etat membre (l'Etat d'accueil) peuvent rester assujettis à la sécurité sociale de leur Etat d'origine si (i) l'entreprise qui procède au détachement du travailleur conserve un lien avec ce travailleur, et (ii) si cette entreprise exerce habituellement des activités significatives sur le territoire de l'Etat membre d'origine.

Lorsque les conditions du détachement sont remplies, un certificat A1 (anciennement E 101) est fourni par l'institution compétente de l'Etat membre d'origine, qui atteste que les travailleurs détachés restent soumis à la sécurité sociale de cet Etat membre. 

La question qui se pose dans l'arrêt commenté concerne la possibilité de remettre en cause la validité du certificat A1. En principe, si les autorités de l'Etat membre d'accueil ont un doute sur la validité du certificat, elles doivent introduire une demande de réexamen auprès des institutions de l'Etat membre d'origine. Toutefois, en pratique, les institutions de l'Etat d'origine ne réagissent pas toujours de manière appropriée, comme en témoigne cet arrêt.

Faits

L'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de Justice concerne une entreprise belge active dans le secteur de la construction. Une enquête de l'inspection sociale a établi que cette entreprise n'employait pratiquement pas de personnel et confiait la totalité de ses chantiers en sous-traitance à des entreprises bulgares détachant des travailleurs en Belgique. 

Ces travailleurs ne payaient aucune cotisation de sécurité sociale en Belgique, car ils disposaient de certificats E101 valables qui attestaient du fait qu'ils étaient soumis à la sécurité sociale bulgare. Néanmoins, une enquête menée en Bulgarie par l'inspection sociale belge a établi que ces entreprises bulgares n'exerçaient aucune activité significative en Bulgarie. Les conditions pour bénéficier d'un détachement et pour rester soumis à la sécurité sociale bulgare n'étaient dès lors pas remplies.

Dès lors, les autorités belges ont introduit auprès des autorités bulgares une demande motivée de réexamen ou de retrait des certificats E101. Celles-ci se sont contentées de transmettre un récapitulatif des certificats pour les travailleurs concernés, sans tenir compte des faits constatés par l'inspection sociale belge.

Les responsables de la société ont ensuite fait l'objet de poursuites en justice devant les juridictions belges, et l'affaire a été portée devant la Cour de cassation. Celle-ci a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice pour savoir si elle pouvait ou non écarter le certificat E101 obtenu frauduleusement par les travailleurs détachés.

Réponse de la Cour de Justice

La Cour de Justice admet la possibilité d'écarter le certificat E101 en cas de fraude, si les institutions de l'Etat membre d'origine demeurent inactives.

Jusqu'ici, la Cour de Justice s'appuyait sur les principes de coopération loyale et de confiance mutuelle pour refuser d'écarter un certificat E101 valable : le principe de coopération loyale impose à l'institution émettrice du certificat E101 de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents, et donc de vérifier si les conditions du détachement sont remplies. Le principe de confiance mutuelle impose quant à lui à l'institution compétente de l'Etat membre d'accueil (en Belgique, l'O.N.S.S.) d'admettre la validité du certificat E101 aussi longtemps qu'il n'est pas déclaré invalide par l'institution émettrice. En cas de doute sur la validité du certificat E101, l'institution compétente de l'Etat membre d'accueil peut en faire part à l'institution émettrice qui procède alors à une réévaluation. 

Ce système n'était malheureusement pas efficace dans la pratique car il s'opposait au manque de volonté des institutions de certains Etats membres de réexaminer la validité d'un certificat E101. Dès lors, l'institution compétente de l'Etat membre d'accueil était dépourvue de tout moyen d'action.

La Cour de Justice a mis fin à cette impasse en jugeant que le principe de coopération loyale impose aussi à l'institution émettrice de reconsidérer la délivrance d'un certificat E101 en cas d'élément nouveau apporté par l'institution de l'Etat membre d'accueil. La Cour se repose également sur l'interdiction de l'abus de droit pour permettre au juge national d'écarter le certificat E101 lorsque l'institution émettrice s'abstient de réagir dans un délai raisonnable aux éléments fournis par l'institution de l'Etat membre d'accueil prouvant la fraude.

Toutefois, la Cour de Justice précise que les personnes soupçonnées d'avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de certificats frauduleux doivent avoir la possibilité de se défendre dans le respect des garanties liées au procès équitable.

Impact pour la pratique

Cet arrêt de la Cour de Justice, très attendu par les praticiens et l'inspection sociale, donne des nouveaux outils à l'inspection sociale dans sa lutte contre le détachement fictif. Il permet désormais aux cours et tribunaux belges d'écarter les certificats E101/A1 non valables en cas d'absence de réaction de l'institution émettrice du certificat, et donc de soumettre les travailleurs à la sécurité sociale belge et de poursuivre pénalement les employeurs occupant ces travailleurs.

Il convient donc de mettre en garde les entreprises ayant recours à des travailleurs détachés : il est plus indispensable que jamais de s'assurer que les conditions du détachement sont bien remplies pour ces travailleurs.