Convention collective de travail : maintenant aussi pour les (faux) indépendants ?

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15 décembre 2014

La Cour de Justice a décidé dans un arrêt du 4 décembre 2014 qu’une convention collective de travail ("CCT") prévoyant des tarifs minimaux pour les prestataires de services indépendants était acceptable et ne relevait pas du champ d’application de l’article 101, § 1 du TFUE - qui interdit les accords/pratiques entre entreprises visant à mettre à mal le jeu de la concurrence à l’intérieur de l’UE - mais cela uniquement dans la mesure où ces prestataires constituent de faux indépendants.

Aux Pays-Bas, une CCT relative aux musiciens remplaçant les membres d’un orchestre conclue entre une association de travailleurs et une association d’employeurs imposait des tarifs minimaux pour les remplaçants salariés, mais aussi pour les remplaçants indépendants (pour lesquels des tarifs plus avantageux que pour les salariés étaient prévus).

La disposition de la loi sur la concurrence néerlandaise, qui transpose l’article 101, § 1 du TFUE, prévoit que l’interdiction de porter atteinte au jeu de la concurrence sur le marché néerlandais ne s’applique pas aux CCT. Pour répondre à la définition d’une CCT et partant, pour échapper à l’application du droit de la concurrence, deux conditions cumulatives doivent être remplies; ces deux conditions tenant à la nature (accord collectif généré par le dialogue social) et à l’objet (contribuer directement à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs) d’un tel accord.

À la suite de la publication d’un document par l’autorité néerlandaise de la concurrence  contestant l’exclusion de la disposition de la CCT s’appliquant spécifiquement aux remplaçants indépendants du champ d’application de la loi sur la concurrence, une fédération syndicale faisant partie des associations de travailleurs ayant conclu la CCT a introduit un recours en justice.

Saisie dans le cadre de deux questions préjudicielles, la Cour de Justice a procédé à la vérification des deux conditions cumulatives susmentionnées. C’est au niveau de l’examen de la nature de l’accord que la Cour a développé un raisonnement interpellant. Elle a décidé qu’en ce que la disposition litigieuse de la CCT a été conclue par une organisation de travailleurs, mais au nom et pour le compte des prestataires de services indépendants qui y sont affiliés, elle ne constitue pas le résultat d’une négociation collective entre partenaires sociaux. En effet, l’organisation de travailleurs n’a pas agi en sa qualité d’association syndicale, mais en tant qu’association d’entreprises. Dès lors, la convention collective litigieuse ne saurait pas être automatiquement exclue, en raison de sa nature, du champ d’application de l’article 101, § 1 du TFUE.

Néanmoins, la Cour relève que l’accord, en tant que résultat d’un dialogue social, ne saurait être contesté dans l’hypothèse où les prestataires de services constituent en réalité de faux indépendants, à savoir des prestataires se trouvant dans une situation comparable à celle des travailleurs salariés, de sorte que la première condition pour échapper à l’application du droit de la concurrence peut dans cette hypothèse tout de même être remplie. La Cour constate ensuite que la deuxième condition est également remplie dans la mesure où la CCT contribue directement à l’amélioration des conditions d’emploi et de travail desdits remplaçants, qualifiés de "faux indépendants".

Par conséquent, la Cour décide que le droit de l’Union et, en particulier, le droit de la concurrence  ne s’oppose pas à ce qu’une CCT prévoie des tarifs minimaux pour des prestataires de services qui sont des "faux-indépendants". Reste à la juridiction nationale à déterminer s’il s’agit de véritables faux indépendants…  

Que signifie cet arrêt à présent pour la Belgique? Les organisations de travailleurs et les organisations d’employeurs peuvent-elles à présent également conclure des CCT pour des  faux indépendants ? Que cela ne soit pas en contradiction avec le droit de la concurrence européen est une chose, une autre est de déterminer si la loi belge sur les conventions collectives de travail autorise de telles CCT.

Aujourd’hui on peut déjà observer des CCT dans lesquelles les employeurs s’engagent à ne pas travailler avec des indépendants ou des sous-traitants. Il s’agit toutefois encore d’autre chose que de prévoir des conditions de rémunération et de travail pour des indépendants dans une CCT.

Le droit du travail distingue, en Belgique, les travailleurs salariés et les travailleurs indépendants. Les "faux indépendants", selon le droit belge, sont ceux qui, après contrôle avec la loi sur la nature des relations du travail, appartiennent en réalité à la catégorie juridique des travailleurs salariés, et qui se considèrent donc indépendants de manière incorrecte. Pour cette catégorie de travailleurs, des CCT peuvent en effet être conclues; en fait, il s’agit simplement de travailleurs salariés. La loi sur les CCT vise cependant également les travailleurs "assimilés". Il s’agit des personnes qui, autrement qu’en vertu d’un contrat de travail, effectuent des prestations sous l’autorité d’une autre personne. Cela vaudrait la peine d’examiner davantage si cette disposition peut contenir la possibilité de conclure des CCT applicables aux faux indépendants non requalifiés. N’oublions toutefois pas que la Cour a relevé que les associations syndicales aux Pays-Bas pouvaient comporter des indépendants parmi leurs membres.