Octroi d'une indemnité réparatrice par le Conseil d'Etat : le Conseil prend position

Spotlight
14 septembre 2018

Depuis 2014, le Conseil d'Etat peut allouer une indemnité réparatrice à une partie requérante. Jusqu'à présent, la jurisprudence était divisée au sujet des conditions auxquelles le Conseil d'Etat peut octroyer une telle indemnité réparatrice. Si le Conseil d'Etat a fait preuve de pragmatisme, il n’en a pas été de même en ce qui concerne la Cour de Cassation. Dans deux arrêts du 21 juin 2018, l'Assemblée générale du Conseil d'Etat s'est penchée sur cette matière.


Contexte

L'article 11bis des Lois Coordonnées sur le Conseil d'Etat (LCCE) soumet  l'octroi d'une indemnité réparatrice entre autres, à la condition d'existence d'un arrêt (antérieur) « ayant constaté l'illégalité [de l'acte attaqué] ». Toutefois, il semble que le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation donnent leur propre interprétation à cette condition légale.

Il ressort de sa jurisprudence que la Cour de Cassation a donné de cette condition  une interprétation stricte en posant que seulement un arrêt d’annulation peut être qualifié d’un « arrêt ayant constaté l'illégalité » au sens de l'article 11bis des LCCE (voir Eubelius Spotlights décembre 2017). Cet arrêt mettait un terme à la souplesse et au pragmatisme dont faisait preuve le Conseil d'Etat jusqu'à ce moment. Selon cette jurisprudence du Conseil d'Etat, une illégalité peut être constatée de diverses manières (par exemple par le retrait de l'acte attaqué par l'autorité administrative ou l'arrêt qui en prend acte) et pas seulement par un arrêt d'annulation. La Cour de Cassation a mis un frein à cette interprétation souple.

Le pragmatisme du Conseil d'Etat connaissait aussi ses limites. Le Conseil d'Etat a ainsi jugé à plusieurs reprises qu'aucune illégalité n’est constatée lorsqu'il déclare le recours irrecevable, par exemple à cause d'une absence d'intérêt de la partie requérante. La demande d'indemnité réparatrice est l'accessoire du recours en annulation. Selon la jurisprudence citée, le rejet du recours au fond à cause d'une absence d'intérêt a pour conséquence que la demande d'indemnité réparatrice doit également être rejetée, en l’absence de constat d’illégalité et par l’impossibilité de constater celle-ci. Cette jurisprudence reste intégralement applicable, même après l'arrêt de la Cour de Cassation précité.

L'Assemblée générale du Conseil d'Etat intervient: vers une jurisprudence uniforme?

Cependant, les arrêts nos. 241.865 et 241.866 rendus le 21 juin 2018 par l'Assemblée générale du Conseil d'Etat ont mis fin à cette jurisprudence répétée. Selon l'Assemblée Générale, cette jurisprudence n'était notamment pas en ligne avec la volonté du législateur. 

Dans le cadre de la réalisation de l'article 11bis des LCCE, la section Législation du Conseil d'Etat a signalé qu'aucune indemnité réparatrice ne pourrait être octroyée à une partie requérante, qui, en cours de la procédure, perd son intérêt à l'annulation de l'acte attaqué. En réaction à cette remarque de la section Législation, le législateur a expressément confirmé dans les travaux préparatoires que le Conseil d'Etat peut aussi apprécier la légalité de l'acte attaqué, même si la partie requérante ne dispose (plus) d'un avantage direct à l'annulation de l'acte attaqué.

Eu égard à la ratio legis de l'article 11bis des LCCE, l'Assemblée générale du Conseil d'Etat a prononcé les arrêts nos. 241.865 et 241.866. Dans ces deux affaires, l'Assemblée générale constate que la partie requérante a perdu son intérêt à l'annulation de l'acte attaqué. Toutefois, la circonstance que la partie requérante a perdu, en cours d'instance, son intérêt à l'annulation, n'empêche pas le Conseil d'Etat, selon son Assemblée générale, d'examiner la demande d'indemnité réparatrice lorsqu'il constate une illégalité. L'Assemblée générale exige que les conditions de recevabilité du recours en annulation soient réunies au jour de l'introduction du recours. En outre, la partie requérante doit avoir introduit la demande d'une indemnité réparatrice avant le prononcé de l'arrêt constatant cette irrecevabilité.

Lorsque le Conseil d'Etat rejetait selon sa jurisprudence antérieure précitée dans ce cas la demande d'indemnité réparatrice, par l’impossibilité de constater une illégalité, vu l'irrecevabilité du recours, l'Assemblée générale a rouvert le débat dans ces deux affaires.

Un geste à l'égard de la partie requérante

De cette tournure dans la jurisprudence peut être déduit un geste à l'égard de la partie requérante qui est lésée par l'acte attaqué, mais qui a perdu son intérêt à l'annulation de cet acte.
Selon sa jurisprudence antérieure, le Conseil d'Etat rejetait dans ce cas la demande d'une indemnité réparatrice à cause de l'absence d'arrêt constatant une illégalité. Le principe una via electa, selon lequel la partie requérante doit demander son indemnité soit devant le Conseil d'Etat soit devant le juge judiciaire, avait toutefois pour conséquence que le dommage subi ne pouvait plus être réparé devant le juge judiciaire, vu le rejet de sa demande d'indemnité réparatrice par manque de constat d’illégalité. En d'autres termes, dans ces circonstances, la partie requérante ne pouvait plus obtenir une indemnité.

L'Assemblée générale a mis fin à cette situation, ce qui est évidemment en faveur de la partie requérante.