Annulation de la fairness tax. Qu'en sera-t-il ?

Spotlight
15 mars 2018

La Cour Constitutionnelle Belge a annulé la fairness tax le 1er mars 2018. Néanmoins, la Cour Constitutionnelle a maintenu quelques-unes de ses conséquences, réduisant l'impact de la décision et soulevant de nouvelles questions.

La fairness tax a été introduite dans le Code des Impôts sur les Revenus (« CIR ») en juillet 2013, comme une mesure visant à combattre l'utilisation exagérée de la déduction d'intérêts notionnels et des pertes fiscales reportées. La taxe a été très controversée depuis son entrée en vigueur. Son champ d'application, sa méthode de calcul, ainsi que ses effets sur les libertés de l'UE, ont fait l'objet de nombreuses critiques. Cela a mené à un recours en annulation devant la Cour Constitutionnelle et à une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union Européenne. La Cour de Justice a rendu sa décision le 17 mai 2017 (affaire C-68/15) et la Cour Constitutionnelle a rendu son arrêt le 1er mars 2018, résultant en l'annulation de la fairness tax.

Quelle était la décision de la Cour Constitutionnelle ?

L'arrêt n'est pas tout à fait surprenant. L'abolition de la fairness tax a déjà été discutée lors de la réforme de l'impôt sur les sociétés, après que la Cour de Justice a déclaré que la taxe comporte une violation de la Directive mère-filiale (la « Directive »). Néanmoins, la décision de la Cour Constitutionnelle et ses conséquences exactes restent encore à discuter, car l'arrêt ne répond pas à toutes les questions et, au contraire, soulève quelques nouvelles questions.

Commençons tout d'abord avec les mauvaises nouvelles: la Cour Constitutionnelle, en suivant le raisonnement de la Cour de Justice, ne considère pas la fairness tax comme une retenue à la source interdite par la Directive. Elle décide également que le fait que la fairness tax soit calculée sur base du résultat fiscal déterminé par un Arrêté Royal et pas par le CIR n'entraîne pas une violation du principe de légalité en matière fiscale. En outre, la Cour Constitutionnelle considère qu'est suffisamment claire et ne viole donc pas la Constitution la manière dont le législateur a exclu les réserves constituées au plus tard au cours de l'exercice d'imposition 2013 de la base de la cotisation. La Cour Constitutionnelle décide qu'il en va de même pour la disposition du CIR qui interdit toute déduction fiscale de la base imposable de la fairness tax.

Néanmoins, la Cour Constitutionnelle critique la fairness tax pour d'autres raisons.

Premièrement, la Cour Constitutionnelle décide que la détermination de la base imposable pour les entreprises étrangères ayant un établissement stable en Belgique n'est pas suffisamment claire. Le principe de légalité est donc violé.

Deuxièmement, et conformément à la décision précédente de la Cour de Justice, la Cour Constitutionnelle déclare que la fairness tax enfreint la Directive dans les cas où les dividendes tombant sous le champ d'application de la Directive sont redistribués au cours d'exercices suivants et sont inclus dans la base imposable de la fairness tax. En effet, la Directive prévoit une imposition maximale de 5% sur les dividendes reçus, laquelle est déjà complètement "absorbé" par la déduction des revenus définitivement taxés de 95%. Donc, toute reprise de tels dividendes dans la base de calcul de la fairness tax provoque le dépassement du plafond de 5%.

Enfin, la Cour est d'avis que le calcul de la fairness tax est discriminatoire. Plus précisément, une distinction existe entre les entreprises qui ont utilisé d'autres déductions fiscales ou réductions de valeur, provisions ou plus-values exonérées, et celles qui ne l'ont pas fait (causant une fairness tax moins élevée). De plus, le facteur de proportionnalité utilisé pour limiter les effets de la fairness tax à l'utilisation de la déduction des intérêts notionnels et des pertes fiscales reportées augmente encore cette discrimination en raison d'une mauvaise rédaction législative.

Toutes ces carences juridiques susvisées causent l'annulation de la fairness tax dans son ensemble.

Une victoire à la Pyrrhus?

Même si elle constate que la fairness tax constitue une violation de la Constitution belge, la Cour Constitutionnelle limite les conséquences juridiques de l'annulation pour des raisons politiques et budgétaires. Elle maintient les conséquences de la fairness tax pour les exercices d'imposition 2014 à 2018.

La seule exception à cette règle, selon la Cour Constitutionnelle, est la redistribution des dividendes tombant sous le champ d'application de la Directive. Dans ce cas, les contribuables affectés peuvent demander un remboursement de la fairness tax pour les exercices d'imposition précédents.

Nouvelles questions 

L'administration fiscale suivra très probablement la décision de la Cour Constitutionnelle et remboursera par conséquent la fairness tax dans l'unique cas où elle concernerait la redistribution des dividendes tombant sous le champ d'application de la Directive. Néanmoins, nous croyons que d'autres moyens existent pour réclamer des remboursements supplémentaires. En effet, il importe de savoir si cette limitation des effets juridiques de l'annulation est, en tant que telle, compatible avec les règles internationales – telles que les dispositions du droit de l'UE (dont la Cour Constitutionnelle n'a pas examiné la violation), les conventions de double imposition et la Convention européenne des Droits de l'Homme et ses Protocoles.

Premièrement, la seule exception au maintien des effets juridiques s'applique seulement aux dividendes reçus par des filiales étrangères. Néanmoins, le législateur belge a étendu le champ d'application de la Directive à des situations internes. Par conséquent, on pourrait argumenter que l'exception prévue par la Cour Constitutionnelle devrait être étendue aux dividendes reçus par les sociétés mères belges de leurs filiales belges.

Deuxièmement, en considérant le raisonnement étayant la décision de la Cour Constitutionnelle de maintenir l'effet de la fairness tax, déficiente du point de vue de la légalité, on pourrait invoquer une violation du premier Protocole à la Convention européenne des Droits de l'Homme, une norme supérieure.

Troisièmement, la Cour Constitutionnelle ne s'est pas prononcée sur l'application de la fairness tax à une société belge qui a reçu les bénéfices provenant de ses établissements stables étrangers, qui sont exonérés en vertu des conventions de double imposition applicables. Il devrait être encore possible d'invoquer ces violations des conventions de double imposition contre les cotisations relatives à la fairness tax.

Enfin, la Cour Constitutionnelle n'a pas examiné les autres violations potentielles du droit de l'UE (par exemple, violations de (i) la libre circulation des capitaux, dans les cas où les revenus de biens immobiliers étrangers sont également soumis à la fairness tax; (ii) la liberté d'établissement, car la fairness tax rend moins attrayant le fait pour les sociétés étrangères d'opérer via un établissement stable belge plutôt que par une filiale et vice versa ; et (iii) la Directive, dans la mesure où l'utilisation de la déduction des revenus définitivement taxés pourrait causer une base imposable plus élevée pour la fairness tax). Les contribuables devraient également pouvoir invoquer de telles violations.

Qui est affecté?

Les contribuables dont la réclamation fiscale sera traitée par l'administration fiscale conformément à la décision de la Cour Constitutionnelle, devraient examiner soigneusement quels autres arguments pourraient être invoqués pour contester les cotisations relatives à la fairness tax.

La décision de la Cour Constitutionnelle et la décision de la Cour de Justice constituent toutes deux de faits nouveaux probants pour les contribuables qui n'ont pas encore contesté leurs cotisations relatives à la fairness tax et qui souhaiteraient, à présent, reconsidérer leur décision.

Souhaitez-vous en savoir plus sur la fairness tax et sur la façon dont votre entreprise peut prendre d'autres mesures?

Consultez notre site web ou contactez l'un de nos experts.