Votre société emprunte-t-elle afin de distribuer des dividendes ou de réduire son capital? Attention, le fisc est aux aguets…

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15 juin 2018

Ces quatre dernières années, l'Inspection Spéciale des Impôts (« ISI »)  a choisi un certain nombre de cas types de sociétés ayant contracté un emprunt pour financer une distribution de dividendes ou une réduction de capital et a rejeté les charges d'intérêts en tant que frais fiscalement déductibles.

Le fisc considère que la condition principale pour bénéficier de la déduction de frais, ancrée dans l'article 49 CIR92 (c'est-à-dire que les frais doivent être faits ou supportés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables) n'est pas remplie. La charge de la preuve à cet égard repose sur le contribuable. Le fisc considère que les opérations qui mènent à une diminution des fonds propres d'une société ne peuvent satisfaire à la condition susmentionnée.


Le ministre des Finances a confirmé à deux reprises que, dans de telles situations, la déductibilité fiscale doit être jugée au cas par cas et qu'il ne peut être exclu qu'une société puisse prouver qu'il a été satisfait aux conditions prévues pour la déduction.

Suite à un certain nombre de développements négatifs récents dans la jurisprudence, le Service des Décisions Anticipées ne rend plus de rulings positifs dans cette matière.

Entre-temps, deux cours d'appel ont suivi l'administration fiscale et ont rejeté la déduction d'intérêts dans des cas spécifiques. La première affaire concerne l'opération dite « debt push down » dans le cadre d'une acquisition d'actions, et la seconde affaire concerne la restructuration financière (« leveraged restructuring ») d'une société. Ci-après nous commentons brièvement ces affaires.

Cour d'appel de Gand – debt push down 

La cour d'appel gantoise s'est prononcée dans une affaire dans laquelle deux actionnaires pensionnés, mais encore actifs (de respectivement 67 et 80 ans) décidèrent de vendre leur entreprise (qu'ils géraient depuis 1972) à un investisseur qui aurait assuré la continuité de l'activité de la société (sans toutefois prendre d'engagement explicite à cet égard). L'investisseur emprunta de l'argent auprès d'une banque pour financer le prix d'acquisition des actions. Le jour du closing, la société visée emprunta 2,5 millions d'EUR auprès d'une banque pour financer la distribution, à l'investisseur (et nouvel actionnaire), de divers superdividendes (pour un montant total de 3,5 millions d'EUR). C'est grâce aux dividendes perçus que l'investisseur a été en mesure de rembourser son emprunt bancaire.

Le fisc rejeta les charges d'intérêts que la société visée avait payées pour le financement partiel des distributions de dividendes.

Bien que la société défendit, avec succès, la déduction des frais devant le tribunal de première instance de Gand (jugement du 28 juin 2016), la cour d'appel annula ce jugement et refusa la déduction des intérêts comme frais fiscalement déductibles (arrêt du 9 janvier 2018).

La cour estime que les opérations dites de « debt push down » sont réalisées principalement dans l'intérêt des actionnaires vendeurs et des nouveaux actionnaires, et donc pas dans l'intérêt de la société qui prendrait des risques considérables suite à l'augmentation de ses dettes et la diminution de ses fonds propres. La cour souligne que la société n'a pas démontré que l'acquisition était nécessaire pour la continuation de son activité (l'acheteur ne prit aucun engagement concernant la reprise des activités de la société dans la convention de vente d'actions). La cour juge que la société a créé artificiellement la nécessité du financement par la distribution d'un superdividende.

Selon certaines sources fiables, un pourvoi en cassation sera introduit auprès de la Cour de Cassation contre cet arrêt.

Bien que le raisonnement de la cour est, à notre avis, fortement critiquable à plusieurs égards, cette affaire démontre l'importance d'un business case bien préparé et l'importance de recourir à un avis professionnel lorsque de telles transactions sont entamées ou implémentées.

Cour d'appel d'Anvers – restructuration financière 

L'affaire portée devant la cour d'appel d'Anvers concerne Nyrstar Belgium. En 2012, cette société diminua ses fonds propres par une réduction de capital de 350 millions d'EUR (le capital diminua de 641 millions à 291 millions d'EUR) et par un dividende de 100 millions d'EUR, financés par un emprunt de 450 millions d'EUR (reçu de la part de sa société « grand-mère »). La société ne disposait pas de suffisamment de cash pour financer ladite réduction de capital et distribution de dividende, raison pour laquelle elle dut emprunter de l'argent. 

Aussi, dans cette affaire, le fisc rejeta les charges d'intérêts.

La société succomba tant en premier degré devant le tribunal de première instance d'Anvers (jugement du 29 juin 2016) qu'en appel devant la cour d'appel d'Anvers (arrêt du 8 mai 2018).

La cour d'appel d'Anvers ne suit toutefois pas le même raisonnement (fortement critiquable) que la cour d'appel de Gand et confirme à juste titre que les charges d'intérêts d'un emprunt contracté pour financer une distribution de dividendes ou une réduction de capital ne peuvent être fiscalement rejetées automatiquement. La cour souligne néanmoins que le contribuable supporte la charge de la preuve et doit démontrer pour quelle raison un tel emprunt vise l'acquisition ou la conservation des revenus imposables.

En l'espèce, la cour considère que la société n'a pas apporté de pièces probantes prouvant que l'emprunt a été contracté afin de conserver des actifs générateurs de revenus, qu'elle aurait, le cas échéant, dû vendre afin de permettre la réduction de capital et la distribution de dividendes.

Cette affaire souligne une nouvelle fois l'importance d'un dossier bien préparé et étayé dans ce type de transactions.

Pas de panique, une personne avertie en vaut deux 

Considérant la position actuelle de l'ISI et la jurisprudence récente des deux cours d'appel, il importe d'être conscient du fait que les transactions relatives aux distributions de dividendes et aux réductions de capital et financées par des emprunts provoquent un risque de litige avec l'administration fiscale.

Afin d'éviter de longues et coûteuses contestations, il est donc impératif d'être bien conseillé et préparé afin d'être capable de dûment justifier l'objectif commercial d'un tel financement.

Nous considérons en effet qu'il existe plusieurs bons arguments pour soutenir la déductibilité fiscale des charges d'intérêts dans de telles situations. Cette motivation et l'objectif commercial de l'emprunt doivent toutefois être suffisamment documentés au préalable.

Nos associés fiscaux, Wouter Claes et Svjatoslav Gnedasj, sont des spécialistes dans la matière. Svjatoslav a écrit un ouvrage sur la déductibilité fiscale des frais professionnels à l'impôt des sociétés et présentera cette problématique lors d'un séminaire donné à la Fiscale Hogeschool (à Gand) le 1er juin 2018.

Soyez donc vigilants! Un avis donné en temps utile peut aider à protéger votre entreprise. Contactez-nous pour plus d'informations.