Licenciement collectif : une modification unilatérale des conditions de travail peut être considérée comme un licenciement

Spotlight
15 décembre 2017

La Cour de Justice Européenne s'est récemment prononcée dans deux arrêts du 21 septembre 2017 sur la qualification à donner à une modification unilatérale des conditions de rémunération par l'employeur au détriment des travailleurs qui, en cas de refus du travailleur, entraîne la cessation du contrat de travail. Elle a confirmé qu'une telle modification unilatérale est susceptible d'être qualifiée de « licenciement » au sens de la directive 98/59/CE relative aux licenciements collectifs, et qu'une procédure de consultation devait donc avoir lieu préalablement dans la mesure où les conditions (à savoir les seuils de licenciements) sont remplies.


Faits

Les deux affaires ayant donné lieu aux arrêts de la Cour de Justice sont basées sur des faits similaires. Dans la première affaire (C-429/16 – Ciupa e.a.), un hôpital polonais qui subissait des pertes financières importantes a réduit temporairement le salaire de son personnel de 15%. 20% des travailleurs ont accepté la modification, les autres travailleurs l'ont refusée et ont donc fait l'objet d'un congé-modification, notion de droit polonais qui consiste à mettre fin au contrat de travail avec un préavis à respecter par l'employeur en cas de refus des modifications unilatérales proposées par l'employeur. 

Dans la deuxième affaire (C-149/16 – Socha e.a.), un hôpital spécialisé polonais, également confronté à des difficultés financières, a modifié unilatéralement les modalités de calcul de la prime d'ancienneté versée aux travailleurs ayant au moins 20 ans d'ancienneté. La nouvelle règle prévoit que seules les années au service de l'hôpital spécialisé comptent dans le calcul de l'ancienneté. Plusieurs travailleurs ayant refusé la modification, ils ont fait l'objet d'un congé-modification.

Les juridictions polonaises saisies des affaires posent à la Cour de Justice deux questions préjudicielles: 

  1. Une modification unilatérale des conditions de rémunération au détriment des travailleurs qui, en cas de refus du travailleur, entraine la cessation du contrat de travail, doit-elle être qualifiée de licenciement au sens de la directive relative aux licenciements collectifs ?  
  2. L'employeur est-il tenu de procéder aux consultations des représentants des travailleurs, prévues par la directive relative aux licenciements collectifs ?

Réponse de la Cour de Justice

La Cour de Justice examine tout d'abord si les modifications opérées par l'employeur polonais en l'espèce peuvent être considérées comme un licenciement au sens de la directive relative aux licenciements collectifs. Pour la Cour, le fait pour un employeur de procéder unilatéralement et au détriment du travailleur à une modification substantielle des éléments essentiels du contrat de travail pour des motifs non-inhérents à la personne du travailleur relève de la notion de licenciement. 

En l'espèce, la Cour estime que la modification des modalités de calcul de la prime d'ancienneté est non substantielle, et que la diminution de 15% du salaire des travailleurs semble ne pas être substantielle du fait de sa nature temporaire, étant entendu qu'il revient au juge du fond de trancher la question.

Toutefois, la Cour de Justice constate que la directive relative aux licenciements collectifs considère que la résiliation du contrat de travail faisant suite au refus du travailleur d'accepter une modification telle que celle proposée dans ledit congé-modification constitue une cessation du contrat de travail intervenue à l'initiative de l'employeur pour un ou plusieurs motifs non-inhérents à la personne des travailleurs, de telle sorte qu'il doit en être tenu compte pour le calcul du nombre total de licenciements intervenus. Dès lors, la directive trouve à s'appliquer.

La Cour de Justice précise ensuite le moment où la consultation doit avoir lieu, la modification des conditions de travail ne constituant un licenciement que si elle est refusée par le travailleur. En l'occurrence, l'employeur devait raisonnablement s'attendre à ce qu'un certain nombre de travailleurs n'acceptent pas la modification unilatérale de leurs conditions de travail et que par voie de conséquence leur contrat de travail soit résilié. Il convenait donc de procéder aux consultations lorsque l'employeur envisageait de modifier les conditions de travail. Les consultations portent au moins sur les possibilités d'éviter ou de réduire les licenciements collectifs et sur les possibilités d'en atténuer les conséquences. L'employeur est également tenu de fournir aux (représentants des) travailleurs les informations nécessaires dans ce cadre.

Impact pour la pratique

Bien que le droit belge ne connaisse pas d'équivalent du congé-modification polonais, ces deux arrêts de la Cour de Justice sont néanmoins pertinents en Belgique. En effet, la modification unilatérale des éléments essentiels d'un contrat de travail de façon importante par l'employeur peut être considérée comme un acte équipollent à rupture qui entraîne la rupture immédiate du contrat de travail (c'est-à-dire un licenciement par l'employeur), si le travailleur l'invoque.

Dès lors, un employeur ayant l'intention de procéder à une modification unilatérale d'un élément essentiel des conditions de travail de tout ou partie de ses travailleurs de façon importante devra préalablement informer et consulter les travailleurs, conformément à la législation en matière de licenciements collectifs.