Le nouveau droit de l'insolvabilité est arrivé

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15 septembre 2017

Le 11 septembre 2017 est parue au Moniteur belge la loi du 11 août 2017 qui ajoute un nouveau Livre XX au Code de droit économique (le "CDE").

Le livre XX fusionne la loi existante du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises (la "LCE") et la loi du 8 août 1997 sur les faillites en un seul tout, qui est simultanément intégré dans le CDE. Le législateur ne s'est toutefois pas limité à une simple coordination de la législation existante: il a profité de l'occasion pour modifier profondément le droit de l'insolvabilité sur un certain nombre de points et, par ailleurs, de nombreuses adaptations ponctuelles sont également effectuées. Vous trouverez ci-après un bref aperçu de certains changements marquants.

Le champ d'application personnel du droit de l'insolvabilité est fortement élargi

La principale innovation est sans nul doute le fait que, à l'avenir, le champ d'application personnel du droit de l'insolvabilité sera bien plus large que celui du droit actuel de l'insolvabilité.

Alors qu'aujourd'hui, d'une part, la loi sur les faillites s'applique exclusivement aux commerçants et que, d'autre part, seuls les commerçants, agriculteurs, sociétés agricoles et sociétés civiles à forme commerciale (sauf lorsqu'il s'agit d'un titulaire d'une profession libérale ou d'une société de titulaires d'une profession libérale) peuvent faire appel à la LCE, ces facteurs de rattachement sont résolument renvoyés au placard par le nouveau Livre XX et sont remplacés par un autre critère beaucoup plus large. De ce fait, le champ d'application personnel de la loi sur les faillites et de la LCE est non seulement harmonisé – ce qui est sans aucun doute une bonne chose –, mais il est également mis fin à la situation actuelle où certains acteurs économiques insolvables glissent entre les mailles du droit de l'insolvabilité.

Concrètement, le champ d'application personnel du Livre XX est rattaché à la notion d' "entreprise" qui, quant à elle, est délimitée à l'aide de trois critères. Pour l'application du Livre XX, une "entreprise" est :

  • toute personne physique qui exerce à titre indépendant une activité professionnelle, 
  • toute personne morale, et
  • toute organisation sans personnalité juridique. 

Toute personne ou entité qui appartient à l'une de ces catégories tombe dans le champ d'application du Livre XX et peut dès lors désormais tant être déclarée en faillite que faire l'objet d'une procédure de réorganisation judiciaire.

La notion de "personne physique qui exerce à titre indépendant une activité professionnelle " est bien plus large que les notions utilisées aujourd'hui de "commerçant" (dans la loi sur les faillites et dans la LCE) et d' "agriculteur" (dans la LCE). Les professions libérales tomberont sans aucun doute dans la portée du droit de l'insolvabilité après l'entrée en vigueur du Livre XX, et il en va de même pour de nombreuses autres personnes physiques qui ne tombent pas aujourd'hui dans le champ d'application personnel du droit de l'insolvabilité, comme par exemple les artisans, les architectes d'intérieur, les artistes, les logopédistes, les compositeurs, etc. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a affirmé que la description utilisée par le législateur implique que les personnes physiques qui sont gérant ou administrateur d'une société devront également être considérées comme une entreprise à laquelle s'applique le Livre XX.

La règle selon laquelle toutes les "personnes morales" tombent dans le champ d'application personnel du droit de l'insolvabilité a également pour conséquence que de nombreuses nouvelles entités se retrouvent dans la ligne de mire du droit de l'insolvabilité. À partir de l'entrée en vigueur du Livre XX, les sociétés civiles à forme commerciale peuvent non seulement faire l'objet d'une procédure de réorganisation judiciaire, – comme c'est déjà le cas aujourd'hui (sauf lorsqu'il s'agit d'un titulaire d'une profession libérale ou d'une société de titulaires d'une profession libérale) –, mais elles pourront également être déclarées en faillite. Il est toutefois encore plus frappant que le rattachement au concept de personne morale a pour conséquence que les asbl, les aisbl et les fondations tomberont aussi, dans un futur proche, dans le champ d'application personnel du droit de l'insolvabilité.

Le législateur fait une seule exception au principe selon lequel l'acquisition de la personnalité juridique entraîne l'assujettissement de l'entité concernée au droit de l'insolvabilité: les personnes morales de droit public – comme par exemple l'État fédéral, les communautés et les régions, les provinces, etc. – ne sont pas des entreprises au sens du Livre XX.

Les termes "organisations sans personnalité juridique" visent surtout les sociétés non dotées de la personnalité juridique, plus précisément la société de droit commun (commerciale et civile), la société interne et la société momentanée. Les associations non dotées de la personnalité juridique – les "associations de fait" – ne sont considérées par le législateur comme une entreprise que lorsqu'elles ont un but de distribution ou distribuent en fait des avantages à leurs membres ou à des personnes qui exercent une influence décisive sur la stratégie de l'organisation.

À titre d'exception générale, les établissements de crédit, les entreprises d'assurances, les entreprises d'investissement, les sociétés de gestion d'organismes de placement collectif, les organismes de compensation et de liquidation et les organismes assimilés, les entreprises de réassurance, les compagnies financières holding et les compagnies financières holding mixtes sont exclus du champ d'application d'une grande partie du Livre XX: les titres II à V inclus ("Détection des entreprises en difficulté", "Mesures provisoires", "Médiateur d'entreprise et accord amiable" et "Réorganisation judiciaire") ne s'appliquent pas à ceux-ci. Ils tombent toutefois dans le champ d'application des autres titres du Livre XX (comme par exemple le Titre VI ("Faillite") et le Titre VII ("Actions en responsabilité")), étant entendu qu'il est remarqué à cet égard, dans l'Exposé des Motifs, que ces dispositions s'appliquent à eux "de manière résiduaire".

Modifications relatives à la procédure de réorganisation judiciaire

En ce qui concerne la procédure de réorganisation judiciaire – par laquelle, comme on le sait, on peut viser trois objectifs, à savoir un accord amiable, un accord collectif ou un transfert sous autorité de justice – le législateur maintient, en général, les principes qu'on retrouve déjà aujourd'hui dans la LCE. Il est toutefois effectué un certain nombre de modifications plutôt ponctuelles.

Le simple dépôt d'une requête visant à obtenir l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire ne suffira souvent plus pour empêcher une vente publique imminente de biens saisis: lorsqu'un jour de vente a déjà été fixé et que ce jour tombe dans un délai de 2 mois suivant le dépôt de la requête, la vente publique peut tout simplement avoir lieu pendant la période de sursis, sauf si le tribunal devait en décider autrement sur demande de l'entreprise qui réclame l'ouverture d'une procédure de réorganisation judiciaire.

Une modification marquante concerne le sort des dettes fiscales et sociales nées pendant la période de sursis dans une faillite qui suit ou dans une liquidation qui suit: là où le projet de loi initial visait à préciser – en ligne avec le point de vue que la Cour de cassation a adopté à ce sujet dans 2 arrêts du 27 mars 2015 – que de telles dettes n'acquièrent pas, dans ce contexte, le statut de dette de la masse, il est stipulé justement le contraire dans le texte de loi final (étant entendu que cela ne s'applique pas aux accessoires de ces dettes).

Pour l'accord amiable (dans le cadre d'une procédure de réorganisation judiciaire), il est stipulé que l'accord est homologué et déclaré exécutoire par le tribunal (on peut remarquer en passant que cela est également prévu, mais de façon facultative, pour l'accord amiable extrajudiciaire). Par ailleurs, la capacité de ne pas être affecté par la faillite de l’accord amiable (tant dans le cadre d'une procédure de réorganisation judiciaire que hors procédure) et des actes accomplis en exécution d’un tel accord est renforcée.

Dans le contexte de la procédure de réorganisation judiciaire par un accord collectif, il convient de mentionner que la définition des créances sursitaires extraordinaires est modifiée: par ce terme, on vise dorénavant "les créances sursitaires garanties, au moment de l'ouverture de la réorganisation judiciaire, par une sûreté réelle et les créances des créanciers-propriétaires". Il est en outre stipulé qu'elles ne sont extraordinaires qu'à concurrence du montant pour lequel une inscription ou un enregistrement a été pris, à concurrence de la valeur de réalisation in going concern (s'il n'y a pas d'inscription ni d'enregistrement) ou à concurrence de la valeur comptable (si le gage porte sur des créances spécifiquement gagées).

Dans le même contexte, le pourcentage minimum pour lequel le plan de réorganisation doit prévoir (en principe) le paiement – et qui s'élève à 15% aujourd'hui – est augmenté à 20% et il est précisé que l'interdiction de reprendre dans ce plan, dans la suspension, une réduction ou un abandon des créances sursitaires nées de prestations de travail ne s' applique pas aux "cotisations ou dettes fiscales ou sociales".

Dans la procédure de réorganisation judiciaire par un transfert sous autorité de justice, il est offert, à l'avenir, au candidat-offrant la possibilité de reprendre dans l'objet de son offre un ou plusieurs contrats en cours qui ne sont pas conclus intuitu personae (y compris les dettes y liées), après quoi la vente à l'offrant concerné a pour conséquence que, dans les conventions indiquées par lui, il sera subrogé de plein droit dans les droits de l'entreprise qui fait l'objet de la procédure de réorganisation judiciaire, sans que le cocontractant ne doive donner son consentement.

Modifications relatives à la faillite

Pareillement, dans la partie du Livre XX qui a trait à la faillite, les modifications à l'égard de la loi actuelle sur les faillites sont en général de nature plutôt ponctuelles – indépendamment de l'élargissement approfondi, exposé ci-dessus, du champ d'application personnel de la faillite.

Dans le but d’accorder une seconde chance aux entrepreneurs, le législateur a opté pour que les biens que le failli acquiert pendant la faillite – comme par exemple les revenus tirés de nouvelles activités – ne fassent plus partie de la masse. La seule exception à ce principe sont les biens que le failli acquiert pendant la faillite en vertu d'une cause antérieure à l'ouverture de la faillite.

Les dispositions existantes en rapport avec le sort des conventions qui ont été conclues avant la date du jugement déclaratif de faillite et auxquelles ce jugement ne met pas fin automatiquement sont précisées par la stipulation que le curateur peut résilier ces contrats unilatéralement "lorsque l'administration de la masse le requiert nécessairement" et qu'une telle décision "ne peut porter atteinte aux droits réels de tiers opposables à la masse".

La réglementation actuelle relative à la déclaration d'excusabilité du failli qui est une personne physique est remplacée par l'effacement. Le point de départ est que le failli, qui est une personne physique, est, à sa demande, "libéré envers les créanciers du solde des dettes, sans préjudice des sûretés réelles données par le failli ou un tiers". Afin de promouvoir la seconde chance, le législateur part du principe qu'en règle générale, il ne faut pas attendre la clôture de la faillite pour pouvoir se prononcer sur la demande d'obtention de l'effacement. Si l'effacement est octroyé, le (ex-) conjoint ou le (ex-) cohabitant légal du failli qui est personnellement coobligé à la dette que ce dernier a contractée pendant la durée du mariage ou de la cohabitation légale, est libéré de cette obligation, sauf lorsqu'il s'agit de dettes personnelles ou communes qui découlent d'un contrat conclu par eux et qui sont étrangères à l'activité professionnelle du failli.

Nouvelles règles sur le plan de la responsabilité des administrateurs

Le législateur profite également de l'introduction du Livre XX pour transférer, du droit des sociétés vers le droit de l'insolvabilité, un certain nombre de dispositions légales existantes en rapport avec la responsabilité des administrateurs en cas de faillite. Les dispositions concernées sont reprises dans le Titre VII du Livre XX, qui s'applique à toutes les entreprises, à l'exception des personnes physiques qui exercent à titre indépendant une activité professionnelle. Elles visent chaque fois tout administrateur, gérant, délégué à la gestion journalière, membre du comité de direction ou du conseil de surveillance, actuel ou ancien, ainsi que toute autre personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer l'entreprise (ci-après "les administrateurs ou gérants").

La responsabilité existant dans la SA, dans la SPRL et dans la SCRL pour une faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite est élevée au rang de règle générale qui s'applique à toutes les personnes morales et organisations non dotées de la personnalité juridique et qui sont une entreprise au sens du Livre XX. Il est aussi donné une portée générale à l'exception existant aujourd'hui pour les "petites" SPRL et SCRL. Dans le prolongement de celle-ci, les "petites" asbl, aisbl et fondations sont aussi exclues du champ d'application de la règle de responsabilité.

De même, la responsabilité objective existant dans les SA, SPRL et SCRL pour les cotisations sociales non payées dans le chef des administrateurs ou gérants qui ont été impliqués, au cours de la période de cinq ans qui précède le prononcé de la faillite, dans au moins deux faillites ou liquidations avec des dettes à l'égard d'un organisme percepteur des cotisations sociales, est transformée en une règle de responsabilité en vigueur pour toutes les entreprises visées par le Titre VII du Livre XX. N'est pas reprise ici la règle existant dans la réglementation actuelle, selon laquelle cette responsabilité existe aussi en cas de faute grave commise par les administrateurs ou gérants et selon laquelle une présomption (irréfragable) de l'existence d'une faute grave s'applique lorsque la société est dirigée par une personne qui a été impliquée dans au moins deux faillites ou liquidations avec des dettes à l'égard d'un organisme percepteur des cotisations sociales.

Enfin, une nouvelle règle de responsabilité est inscrite, sur la base du concept de "wrongful trading", dans le Livre XX. Les administrateurs ou gérants peuvent, en cas de faillite, être tenus responsables pour le total ou une partie du passif net lorsque: (i) ils savaient ou devaient savoir, à un moment donné antérieur à la faillite, qu'il n'y avait manifestement pas de perspective raisonnable pour préserver l'entreprise ou ses activités et d'éviter une faillite, et (ii) l'intéressé était, à ce moment-là, administrateur ou gérant, et (iii) l'intéressé n'a pas agi, à partir de ce moment-là, comme l'aurait fait un administrateur normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. À titre d'exception, il est prévu que la nouvelle règle de responsabilité ne s'applique pas lorsque l'entreprise déclarée en faillite est une "petite" asbl, aisbl ou fondation.

Entrée en vigueur

Le livre XX entre en vigueur le 1er mai 2018 et s'applique aux procédures d'insolvabilité qui sont ouvertes à partir de l'entrée en vigueur de la loi. Par AR, il est possible de stipuler une date d'entrée en vigueur antérieure pour chacune des dispositions de la loi.