Le législateur relance la transaction pénale: les lignes de force

Spotlight
15 décembre 2017

Le droit pénal belge a donné au ministère public la possibilité de conclure des transactions pénales avec les prévenus. L'action publique n'était plus poursuivie dès que les suspects ou prévenus payaient un certain montant. La Cour constitutionnelle a jugé en 2016 que cette procédure était inconstitutionnelle s'il n'y avait pas de contrôle judiciaire approfondi de ces transactions pénales. Le législateur présente désormais un nouveau projet de loi. Nous en décrivons brièvement les grandes lignes et les conséquences.


La transaction pénale : aimée et écartée

En 2011, le législateur a largement étendu la possibilité de transiger dans les affaires pénales. Le ministère public en était particulièrement demandeur. Grâce à la transaction pénale, le ministère public pouvait rapidement clôturer des affaires complexes en négociant avec les suspects. Cela signifiait que le ministère public disposait de plus de temps pour d'autres dossiers tandis qu'il était certain qu'une somme d'argent avait été payée.

La transaction pénale était une valeur ajoutée pour le suspect également : il y avait une rapide clarté de la procédure pénale, une longue procédure contenant beaucoup d'incertitude n'était pas nécessaire et les dommages liés à la réputation étaient limités parce qu'il n'y avait pas de procédure publique.

Dans les médias, cependant, les transactions pénales ont toujours été impopulaires. En effet, dans la pratique, elles étaient principalement conclues dans des dossiers économiques et financiers, où l'image a été donnée que les suspects riches pouvaient racheter leur peine et éviter la prison. En outre, certains soupçonnent que cette législation ait été créée à la demande d'un suspect dans un dossier de grande envergure (dit Kazachgate).

La Cour constitutionnelle intervient: le contrôle judiciaire requis

En 2016, la Cour constitutionnelle a temporairement suspendu la transaction pénale dans les affaires pénales. La Cour a jugé qu'il y avait trop peu de contrôle judiciaire sur les transactions pénales. Une fois la transaction conclue entre le procureur et le suspect, la chambre du conseil ou le tribunal pouvait seulement vérifier que les conditions légales aient bien été remplies. Le tribunal ne pouvait pas se prononcer sur l'opportunité de la transaction ou le caractère raisonnable de la somme versée. La Cour constitutionnelle a décidé que ces transactions étaient iniconstitutionnelles dans la mesure où il n'était pas possible de contrôler si la somme d'argent était proportionnelle et si le suspect avait librement et consciemment conclu ce règlement.

Pendant longtemps, les conséquences de cet arrêt n'ont pas été claires. Dans certaines régions, le ministère public a continué à procéder à des transactions pénales, mais la chambre du conseil examinait minutieusement ces transactions comme demandé par la Cour constitutionnelle (par exemple à Gand). Dans d'autres régions, plus aucune transaction pénale n'a été conclue (par exemple à Anvers). En mai de cette année, le ministère public a finalement élaboré une directive interne (non publique) stipulant que les procureurs du Roi seraient à nouveau en mesure de conclure des transactions pénales, dans le respect des conditions de la Cour constitutionnelle.

Bientôt une nouvelle loi

Les conditions d'une transaction avec devoir d'information auprès des autorités fiscales et sociales

Aujourd'hui, un nouveau projet de loi est soumis. Celui-ci adapte la réglementation aux exigences de la Cour constitutionnelle et va plus loin en introduisant un certain nombre de nouvelles exigences.
 
Les conditions pour conclure une transaction restent identiques : celle-ci est uniquement possible pour les délits qui ne portent pas atteinte à l'intégrité physique (par exemple pas pour les coups et blessures ou le viol) et qui seraient punissables d'une peine d'emprisonnement de maximum deux ans.  Outre le paiement d'une certaine somme, le ministère public peut également inclure la confiscation de biens ou de sommes d'argent et le paiement des frais de justice.  De plus, l'auteur doit avoir indemnisé le dommage non contesté de la victime.  S'il est question de délits fiscaux ou sociaux, l'impôt dû ou les cotisations sociales exigées par l'administration doivent également être payés.

La loi introduit toutefois un devoir d'information du ministère public par rapport aux administrations fiscales et sociales : lors de la demande de transaction, le ministère public doit informer à temps l'administration fiscale ou sociale afin de savoir si elle a également subi des dommages dus aux faits (par exemple une fraude fiscale grave). 

La procédure: examen préalable par le juge 

Même après cette nouvelle loi, les négociations relatives à une transaction n'auront lieu qu'entre le suspect ou le prévenu et le ministère public. La victime et les administrations fiscales et sociales ne sont pas impliquées. Le législateur conserve la possibilité de négocier tant qu'aucun jugement ou arrêt définitif n'a pas été rendu.

Une fois qu'un accord est intervenu, celui-ci sera soumis au juge, et ce avant le paiement de la somme d'argent. Le projet de loi prévoit – conformément à la demande de la Cour constitutionnelle – un examen plus approfondi par la chambre du conseil (lors d'une transaction en cours d'enquête) ou par le tribunal (au cours de la procédure au fond). Le juge doit vérifier la transaction pénale relativement aux éléments suivants:

  • Les conditions légales ont-elles été remplies (remboursement de la victime (éventuellement les administrations sociale et fiscale), aucune peine de plus de deux ans d'emprisonnement et aucune infraction physique)?
  • Le contrevenant accepte-t-il librement et délibérément la transaction pénale (par exemple, le contrevenant est conscient des conséquences)?
  • La somme d'argent proposée est-elle proportionnelle à la gravité du crime et à la personnalité de l'auteur de l'infraction?

Toutefois, le juge n'a pas son mot à dire sur l'opportunité ou non d'une transaction pénale et il ne peut donc pas décider que, pour un certain type de crime ou en tenant compte de la personnalité du suspect ou du prévenu, une transaction n'est pas opportune.

Si le tribunal décide que ces conditions ne sont pas remplies, le juge renvoie l'affaire au procureur du Roi. Ce dernier peut alors choisir de poursuivre l'enquête ou la procédure devant la chambre du conseil ou le tribunal correctionnel, ou bien de faire une nouvelle proposition de transaction. Si toutefois, aucune transaction n'est finalement conclue et que la procédure se poursuit, le juge qui a statué sur la transaction ne peut plus juger la question de la culpabilité.

Les documents établis et les communications faites lors de la négociation ne peuvent être utilisés comme preuve à charge de l'auteur.

Si le tribunal décide que les conditions sont remplies, l'action pénale sera éteinte une fois que la somme d'argent aura été payée.

Qu'est-ce que cela signifie ? 

Nous nous attendons à ce que le projet de loi soit en grande partie retenu en l'état. Entretemps, le Conseil Supérieur de la Justice a déjà formulé certaines critiques sur le projet de loi et il a fait des propositions de clarification et d'amélioration du projet.

Cela signifie qu’il existera en tout cas prochainement une nouvelle base légale pour les transactions pénales et que les procureurs du Roi n'auront, en principe, plus aucune raison de les refuser.

La question est de savoir si de telles transactions sont toujours intéressantes après les changements. Pour la plupart des dossiers, les avantages demeurent : une procédure claire, rapide et non publique. En outre, il existe désormais un contrôle juridictionnel de la proportionnalité, ce qui peut inciter le ministère public à modérer ses exigences.

Enfin, nous ne pouvons que saluer le fait que le juge vérifie si « l'arrangement » a pu être conclu volontairement et en toute connaissance de cause, dans la mesure où cela est fait minutieusement. Ceci est d'autant plus important si le procureur conclut un accord sans que le suspect ou le prévenu ne soit assisté par un avocat.

D'autre part, il vaut mieux réfléchir à deux fois dans les cas où des réclamations sociales ou fiscales sont possibles. Avec la nouvelle loi, le ministère public va maintenant indiquer à l'administration sociale ou fiscale qu'il y a une demande de transaction pénale. Le paiement des montants que l'administration réclamera est une condition pour la conclusion d'une transaction pénale.

Là où l'administration n'était pas encore impliquée, on risque, avec une demande de transaction pénale, d'attirer l'attention de l'administration et de récolter de nouvelles réclamations à son encontre. Rappelez-vous qu'il n'y a aucun contrôle par un tribunal sur l'exactitude et la proportionnalité des exigences de l'administration.

En outre, il faut également faire attention aux conséquences de l'annulation des négociations ou d'un rejet de l'accord par le juge. Les documents et les communications à ce sujet ne peuvent être utilisés comme preuve, mais les administrations sont bien sûr alarmées et peuvent commencer leur propre enquête.

En outre, de nombreuses questions de procédure ne sont pas claires. Va-t-on, par exemple, pouvoir faire appel d'une décision d'un juge rejetant l'accord? Et y aura-t-il un débat contradictoire sur l'accord avant que le juge ne décide du règlement? A ce propos, si ce débat se déroule devant le tribunal correctionnel, cela se fera-t-il à huis clos en ce qui concerne la confidentialité des déclarations dans le cadre des discussions? La pratique devra fournir d'autres réponses à ces questions.

Le texte du projet de loi peut être trouvé ici.