Introduction du régime de TVA optionnelle pour la location immobilière

Spotlight
14 septembre 2018

Dans une communication précédente, nous avions déjà fait mention de la décision du gouvernement fédéral d'introduire un régime de TVA optionnelle pour la location immobilière. Jusqu'à présent, il n'était pas clair à quels bâtiments ce régime de TVA optionnelle s'appliquerait. Le projet de loi, qui a été introduit le 31 juillet 2018 à la Chambre, clarifie cet aspect. Ainsi, le régime de TVA optionnelle s'appliquera aux bâtiments pour lesquels la TVA sur les travaux immobiliers matériels qui concourent à leur construction est exigible pour la première fois au plus tôt le 1er octobre 2018.

Réforme TVA 

Le point-clé du projet de loi introduit consiste en l'introduction d'un régime de TVA optionnelle qui, dans un contexte B2B, permettra dorénavant de soumettre la location d'un bâtiment à la TVA. Ceci présente l'avantage pour le bailleur qu'il sera en mesure de récupérer la TVA en amont sur des travaux de construction ou de rénovation. A ce jour, étant donné que la location immobilière est exemptée de la TVA, ce droit de déduction de la TVA en amont n'existe pas.
 
Le projet de loi vise non seulement l'introduction de ce régime de TVA optionnel, mais prévoit également une réforme plus large du régime de TVA applicable à la location immobilière. Ainsi, le projet de loi envisage l'application de la TVA sur la location immobilière de courte durée, ainsi qu'une réforme du régime TVA applicable à la mise à disposition d'emplacements pour l'entreposage des biens. 

Régime de TVA optionnelle 

Les contours du régime de TVA optionnelle pour la location immobilière peuvent être résumés comme suit : 

Bâtiments construits à partir du 1er octobre 2018 

Seuls les bâtiments construits à partir du 1er octobre 2018 sont éligibles pour le régime de TVA optionnelle. Sont visés non seulement les bâtiments nouvellement construits, mais également les bâtiments existants qui sont rénovés de manière radicale, de sorte que, après l'exécution des travaux, ils sont qualifiés de nouveaux bâtiments pour l'application de la TVA. 

Un bâtiment est réputé être construit à partir du 1er octobre 2018 si la TVA sur les travaux immobiliers matériels qui concourent à la construction du bâtiment est devenue exigible pour la première fois au plus tôt le 1er octobre 2018.

Le fait qu'avant le 1er octobre 2018, la TVA est devenue exigible sur les services intellectuels (par exemple des prestations des architectes) ne constitue aucun obstacle pour l'application du régime de TVA optionnelle. De même, des travaux de démolition et des travaux relatifs au sol ne sont pas pris en compte, même si la TVA sur ces services est devenue exigible avant le 1er octobre 2018. Dans ce cadre, l'Exposé des Motifs renvoie entre autres à des travaux de sondage, d'assainissement, de terrassement ou de stabilisation de sol, tels que les travaux de recépage. 

Des biens immobiliers bâtis susceptibles d'une exploitation autonome 

L'option de la taxation n'est ouverte qu'à la location des biens immobiliers bâtis, à l'exception de la location d'un terrain. Toutefois, si le sol attenant au bâtiment est donné en location par la même personne, en même temps que le bâtiment, l'option s'étend également au sol. 

De plus, la location doit avoir pour objet « des bâtiments » ou « des fractions de bâtiments ». Des fractions de bâtiments ne sont éligibles pour la taxation optionnelle que pour autant qu'ils puissent être économiquement exploités de façon autonome. 

B2B 

Sous le régime de TVA optionnelle, l’on ne pourra opter pour l’application de la TVA qu’à la condition que le preneur est un assujetti qui utilise le bien loué exclusivement dans le cadre de son activité économique. Il n'est pas requis que le preneur puisse effectivement déduire la TVA en amont. Des assujettis mixtes (par exemple des banques) ou des assujettis exemptés de la TVA (par exemple des hôpitaux) sont également visés par le régime de TVA optionnelle.

L'option pour l'application de la TVA n'existe par contre pas pour les biens immeubles qui sont loués à des preneurs n'ayant pas la qualité d'assujetti (par exemple des autorités publiques ou des holdings passifs). Dans le même sens, l'option pour l'application de la TVA n'est pas possible si le bien immeuble loué n'est pas utilisé de manière exclusive dans le cadre de l'activité économique du preneur (par exemple habitation privée). Si, toutefois, le bâtiment peut être divisé en plusieurs fractions de bâtiments permettant une exploitation autonome, il sera possible d'opter pour la TVA pour la fraction qui est utilisée de manière exclusive dans le cadre de l'activité économique du preneur. 

Cette condition n'implique pas que la location de l'immobilier résidentiel soit toujours exclue de l'option. Lorsque, par exemple, une maison de soins et de repos ou des résidences d'étudiants sont loués par le propriétaire à un exploitant, il sera possible de soumettre à la TVA la location conclue entre le propriétaire et l'exploitant.

Option conjointe par le loueur et le preneur  

L'option pour la taxation doit être exercée conjointement par le loueur et le preneur. Les modalités d'application concrètes sont encore à déterminer. Il sera en tout cas admis qu'une déclaration spécifique pro fisco dans le contrat de bail suffira à démontrer vis-à-vis de l'administration l'intention des parties de soumettre le contrat à la TVA.

L'option vaut pour toute la durée du contrat. Si les parties concluent un nouveau contrat de location, ils auront à nouveau le droit d'opter ou non pour l'application de la TVA. Cela vaut aussi en cas de prolongation d'un contrat de location.

Base minimale d'imposition 

Si les parties optent pour l'application de la TVA, le locateur devra appliquer la TVA d'une part, mais aura également le droit de déduire la TVA sur les travaux immobiliers. 

Dans la mesure où le preneur est un assujetti ayant un droit à déduction intégral, celui-ci pourra déduire la TVA facturée de sorte que l'application de la TVA n'aura finalement pas d'impact budgétaire pour le preneur. Ceci n'est pas le cas si le preneur n'a pas un droit à la déduction intégral. Pour un tel preneur, la TVA appliquée constitue un coût. Afin d'éviter des manipulations, une base minimale d'imposition est applicable dans la situation où le locataire et le preneur sans droit à déduction intégral sont liés sur base d'une liste limitative de liens personnels, financiers ou organisationnels. Dans un tel cas, la TVA est due sur le loyer de marché dans des conditions similaires. 

Taux applicable 

La location immobilière, pour laquelle l'option de taxation est exercée, sera en principe soumise au taux normal de 21%.  

Conformément à ce qui existe actuellement pour le leasing de TVA, la location des biens immobiliers destinés à être utilisés à des fins spécifiques, peut bénéficier d'un taux réduit. Ainsi, un taux réduit s'appliquera dans le cadre de la location des bâtiments destinés au logement privé pour handicapés, aux établissements pour handicapés, à l'enseignement ou au logement dans le cadre de la politique sociale (par exemple des maisons de soins et de repos). 

Révision de la TVA déduite en amont 

Dans la mesure où les conditions de taxation, telles que prévues dans le cadre du régime de TVA optionnelle, ne sont plus remplies pendant la durée du contrat, l'option exercée cesse d'avoir effet. Tel sera par exemple le cas si, pendant la durée du contrat, le bâtiment n'est plus utilisé de manière exclusive dans le cadre de l'activité économique du preneur (par exemple l'utilisation partielle en tant qu'habitation privée). 

Dans une telle situation, et à condition que le délai de révision ne soit pas encore expiré, le bailleur sera tenu de procéder à une révision de la TVA déduite en amont sur la construction ou l'acquisition du bâtiment. 

Afin d'éviter des abus et des mécanismes particuliers d'optimisation, un délai de révision spécifique et prolongé est prévu. Ainsi, pour la TVA déduite en amont sur la construction des bâtiments pour lesquels l'option de taxation est exercée, un délai de révision de 25 ans s'appliquera. En ce qui concerne la TVA déduite sur des travaux de rénovation ordinaires, le délai de révision normal de cinq ans reste d'application. 

Le Roi déterminera encore des règles spécifiques quant à la révision à opérer dans des situations spécifiques, tel qu'en cas de cession totale ou partielle du bâtiment loué. 

Application à partir du 1er janvier 2019 

Le régime de TVA optionnelle entrera en vigueur le 1er janvier 2019. Le fait que le contrat de location soit déjà conclu avant cette date, n'empêche pas l'exercice de l'option, à condition que les autres conditions du régime de TVA optionnelle soient remplies (dont la condition que le bâtiment doit être construit à partir du 1er octobre 2018).  

Hiérarchie  

Le projet de loi introduit, en ce qui concerne l'application de la TVA, une certaine hiérarchie entre les différents types de contrats de location. Les exceptions existantes sur l'exemption de la TVA pour la location immobilière, ainsi que la nouvelle exception pour les locations immobilières de courte durée, ont priorité sur le régime de TVA optionnelle. Par exemple, un contrat de location qui répond aux conditions d'un leasing de TVA, sera automatiquement soumis à la TVA, sans qu'il y ait une option de taxation à exercer. 

Il n'en va pas de même pour les contrats ayant pour objet la mise à disposition d'emplacements pour l'entreposage de biens (voyez ci-après). Dans un contexte B2B, le régime de TVA optionnelle prévaudra de sorte qu'un tel contrat ne sera soumis à la TVA que pour autant que les parties en fassent le choix de manière explicite.

Mise à disposition d'emplacements pour l'entreposage des biens 

L'exception à l'exemption pour la location immobilière qui existe actuellement pour la mise à disposition d'emplacements pour l'entreposage des biens est réformée de manière approfondie en vue de renforcer le secteur logistique (e-commerce). 

Sous le régime existant, la mise à disposition d'emplacements est soumise à la TVA à condition que (i) il s'agisse d'un bâtiment conçu comme emplacements pour l'entreposage de biens, et (ii) au maximum 10% des surfaces soit utilisé en tant que bureau par les personnes chargées de la gestion des biens entreposés.

Suite à la modification de loi proposée, seule l'utilisation effective du bâtiment sera prise en compte. Ainsi, il sera question de « mise à disposition d'emplacements pour l'entreposage de biens » si plus de 50% de la surface ou du volume du bâtiment est utilisée pour l'entreposage de biens à condition que ces emplacements ne soient pas utilisées pour plus de 10% comme espaces de vente. 

Dorénavant, une distinction entre B2B et B2C est à faire. Une location B2C, qui répond à la nouvelle définition de « mise à disposition d'emplacements pour l'entreposage de biens » sera d'office taxée. Dans un contexte B2B, une telle mise à disposition tombe sous le régime de la TVA optionnelle, c'est-à-dire la location ne sera soumise à la TVA qu'à la condition que les parties en fassent le choix. Il est important de remarquer que, dans ce cadre, aucune exigence n'est formulée quant à la date de construction du bâtiment mis à disposition. Il sera ainsi possible d'opter pour l'application de la TVA même s'il s'agit d'un bâtiment qui date d'avant le 1er octobre 2018. 

Des contrats qui sont actuellement soumis à la TVA sous l'ancienne définition, demeurent soumis à la TVA jusqu'au terme initial du contrat. Pour les contrats qui étaient exemptés de la TVA sous l'ancienne définition, mais qui répondent bel et bien à la nouvelle définition de « la mise à disposition d'emplacements pour l'entreposage des biens », les parties auront l'option de soumettre ce contrat à la TVA à partir du 1er janvier 2019. 

Taxation obligatoire de la location immobilière à courte durée 

Outre l'introduction du régime de TVA optionnelle, le projet de loi prévoit également une taxation obligatoire de la location immobilière à courte durée.

Une location immobilière sera « à courte durée » si la location a trait à une période qui ne dépasse pas six mois. Lorsque la location d'un même bien fait l'objet de contrats successifs entre les mêmes parties, il est tenu compte de la durée totale d'utilisation du bien.

Dans ce cadre également, une distinction est faite selon la qualité du preneur et, généralement, la taxation obligatoire n'aura lieu que dans des situations B2B. Ainsi, le nouveau régime de taxation obligatoire de la location immobilière à courte durée ne s'applique pas dans les situations suivantes:

  • la mise à disposition des biens immeubles à des fins de logement ;
  • la mise à disposition à des personnes physiques qui utilisent les biens à des fins privées, ou, plus généralement, à des fins étrangères à leur activité économique;
  • la mise à disposition à des organisations sans but de lucre ; et
  • la mise à disposition en faveur de toute personne qui affecte ces biens à la réalisation des opérations qui bénéficient d'une exemption de TVA socio-culturelle (article 44, §2 CTVA).

Ce régime de taxation obligatoire de la location immobilière à courte durée entrera en vigueur le 1er janvier 2019. Les contrats existants qui sont actuellement exemptés de la TVA, restent soumis à ce régime jusqu'au terme initial du contrat. 

Cession de bail 

L'exemption existante de la location immobilière vise « l'affermage, la location et la cession de bail de biens immeubles par nature ». La cession de bail est enlevée du champ d'application de l'exemption. De l'Exposé des Motifs, l'on semble pouvoir déduire que la cession de bail par un assujetti agissant en tant que tel sera dorénavant toujours soumise à la TVA, que le contrat de bail sous-jacent soit soumis à la TVA ou non. 

Commentaire 

L'introduction du régime de TVA optionnelle pour la location immobilière constitue un assouplissement et une simplification bienvenue pour le secteur immobilier. Cette réforme offre plus de flexibilité juridique aux promoteurs et développeurs immobiliers, qui, à ce jour, doivent opter pour d'autres figures de droits, tel que l'octroi des droits réels, en vue de la récupération de la TVA grevant la construction d'un bâtiment. 

Il est à remarquer qu'avec la réforme de TVA proposée, le législateur opère de plus en plus une distinction entre des situations B2B et B2C. Ceci devra être pris en compte lors de la rédaction des clauses contractuelles. Ainsi, les parties devront, en vue de respecter leurs obligations de TVA, veiller à fixer clairement la destination contractuelle des biens loués et à régler le sort des conséquences financières dans le cas d'une révision éventuelle de TVA. En limitant de manière générale l'application du régime de TVA optionnelle aux bâtiments construits à partir du 1er octobre 2018, il sera important de bien pouvoir documenter l' « ancienneté » d'un bâtiment (par exemple dans le cadre d'un due diligence). Eu égard à la tendance à la rénovation des bâtiments existants, il est à prévoir, dans la pratique, que deviendra de plus en plus importante la question de savoir si un bâtiment existant, après sa rénovation, sera qualifié de « nouveau bâtiment » aux fins de la TVA, en vue de déterminer son éligibilité pour le régime de la TVA optionnelle.